Selon la formule de cette collection, Bernard Lemaigre présente la vie et l'œuvre de Karl Abraham avant de nous proposer une bibliographie raisonnée et un choix de textes comportant des extraits des deux grands articles sur le développement de la libido (1924) et sur le caractère (1925), mais aussi de l'étude sur le peintre Segantini ainsi que des textes sur la résistance à l'association libre et sur le symbolisme de l'araignée.
Précise et claire, l'étude de la vie (trop brève) et de l'œuvre d'Abraham souligne ses talents de clinicien, son investissement immense de la psychanalyse et de la cause psychanalytique, son attachement aux stades de développement libidinal, et aux étapes de la relation à l'objet, son refus de la psychanalyse "profane" (exrecée par des non-médecins), ainsi que ses rapports avec Freud, Jung et plus tard Mélanie Klein qui fut son analysante (après avoir été celle de Ferenczi). L'étude de la psychose maniaco-dépressive est la source fondamentale de l'œuvre et dès son travail sur Segantini, Abraham y interroge la relation de nostalgie désespérée à la mère. Bernard Lemaigre éclaire le propos sur les stades de la libido et la différenciation en deux de chacun des stades – oral (préambivalent puis sadique-oral), anal (sadique anal puis marqué par la rétention) génital (phallique, puis postambivalent) par l'ancrage de ces distinctions dans la clinique d'Abraham, mais aussi par des tableaux qui aident à visualiser la pensée d'Abraham et en particulier l'articulation entre stades de la libido et rapport à l'objet. L'auteur nous permet de comprendre l'apport d'Abraham sur la question du caractère (qui commence par l'analyse de l'analité), son intérêt pour la sexualité féminine (qui souligne l'envie du pénis et plus tard propose la théorie cloacale pour la sexualité précoce de la petite fille) et les termes de sa polémique avec Karen Horney. Il restitue la controverse avec Ferenczi et Rank autour des notions de fixation, de régression et de la technique active, présente enfin son étude sur Amenhotep IV le pharaon, qui introduisit le culte monothéiste d'Aton (l'intérêt d'Abraham pour le mythe et les hétitages culturels fut constant) et qui montre le mouvement par lequel quelqu'un veut s'engendrer lui-même. On notera à propos de l'étude sur la maniaco-dépression le souci de mettre en évidence les points de rencontre et les écarts avec la pensée de Freud, la clarification de la conception qu'Abraham se fait de la régression, et, dans la conclusion sur l'héritage d'Abraham, une étude systématique de ce que la pensée de Mélanie Klein doit à son analyste. Cette riche synthèse est ainsi plus qu'une introduction et se propose comme un instrument de travail fécond.