La biographie que nous livre Philippe Porret de cette analyste célèbre est passionnante à plus d’un titre. La psychanalyste Joyce Mac Dougall se forme et exerce son métier en traversant la féconde et agitée deuxième moitié du vingtième siècle. Commencé dans son pays natal, la Nouvelle Zélande, pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans un centre de guidance infantile dont la directrice, en cours de formation analytique, sera une première passeuse vers la psychanalyse, son parcours est une traversée de décennies d’une infinie richesse, Nous y apprenons que l’interprétation par la première analyste de J. Mac Dougall du rêve inaugural de la patiente fut une interprétation de l’ambivalence dans le transfert – jugée très prématurée par l’ancienne patiente devenue elle-même analyste, et quelle analyste ! Ce n’est pas un des moindres mérites de l’ouvrage que ce va-et-vient toujours très pesé entre la grande histoire, l’histoire de la psychanalyse, et l’histoire d’une analyste.
C’est à 30 ans, en 1950, que la jeune femme, mariée et mère de deux enfants, quitte la Nouvelle-Zélande pour se former à Londres : engagement total et passionné, dont ces milliers de kilomètres et ces semaines de traversée qui la sépareront de son pays natal et de sa famille initiale sont un signe tangible. Elle arrive à Londres et plonge d’emblée dans l’atmosphère guerrière des «Controverses» entre Anna Freud et Mélanie Klein. Elle inaugure son séjour par une rencontre avec Anna Freud, travaillera à la Hampstead Clinic, prend un analyste dans le Troisième Groupe. En 1954 lorsqu’elle arrive en France, c’est également dans une période d’intense conflit, la première scission ayant lieu peu après. Joyce Mac Dougall choisit son analyste dans le clan Nacht, mais assiste au premier séminaire de Lacan, et sera pendant quarante ans l’amie de Piera Aulagnier... Sa méfiance quant aux appartenances claniques sera une constante de son positionnement, et son souci de tisser clinique et théorie une constante de son œuvre.
Œuvre dont l’auteur suit le cheminement dans une fidèle et productive chronologie, depuis le cas Sammy, dont Lebovici fut le contrôleur, publié tout d’abord en 1960, puis, remanié (remaniements analysés en détail par Philippe Porret), 24 ans plus tard, jusqu’au récent (2003) article sur Winnicott paru aux Karnac Books, en passant bien sur par le Plaidoyer pour une certaine anormalité, les Théâtres du Je et Théâtres du corps, et l’Eros aux mille et un visages.
L’auteur ne s’en tient pas à l’œuvre écrite, mais tente ardemment de s’approcher de ce qui peut faire le «style» d’un analyste (le style : «ce qui arrache une idée au ciel où elle se mourrait d’ennui» écrit B. Franck cité par l’auteur), et le voyage de l’analysant de cette analyste-là, dont on sait qu’elle traversa en toute présence analytique une grande partie du dernier siècle, dans un questionnement constamment renouvelé de la sexualité féminine, de la psychosomatique, de l’homosexualité, de la perversion et de la créativité…