Montrer les origines communes des deux concepts, et leurs différences c’est ce que se proposent de faire les responsables de ce riche volume des « Monographies et débats ». Des éclairages, sous des angles variés, nous font voyager au cœur de ces deux concepts.
Dominique Bourdin, en revisitant la question de l’interdit et du tabou chez S. Freud nous entraîne dans un parcours complet. Elle cherche à évaluer en quoi la notion de tabou recoupe ou non sa conception de l’interdit, dans quelle mesure elle s‘en distingue et quels sont les liens avec le conflit oedipien. Elle ne se contente pas de redonner le fil du développement des idées de S. Freud sur le sujet mais tisse aussi les liens de l’interdit et du tabou dans la clinique actuelle. En conclusion, elle souligne « l’hétérogène » de notre rapport à l’interdit nourri de rationalisations, de tabous et culpabilités primaires. Elle insiste sur l’aspect conflictuel de ces phénomènes qui sont rarement articulés entre eux et sous le joug duquel nous ne manquons pas de tomber répétitivement.
Marie-Claire Durieux évoque cette ligne « floue » entre interdit et tabou et le chevauchement du travail des trois instances et des deux topiques sollicitées pour leur intégration. Elle s’applique à mettre en lumière la part du narcissisme dans l’interdit et le tabou. Pour ce faire, elle va mettre en perspective ce qui nous rapproche de l’animal et ce que l’homme a mis en place pour nous en éloigner. En s’appuyant sur de nombreux exemples pris dans la littérature et la peinture elle nous entraîne dans un récit captivant où l’interdit prend corps pour nous éviter un « affolement pulsionnel » mais, bien entendu, le versus pathologique n’est jamais loin, où une trop grande inhibition, pouvant aller jusqu’à la paralysie du fonctionnement psychique, nous guette.
Félicie Nayrou, reprenant des analyses sociologiques cherche ce qui dans le maillage social aujourd’hui manque pour étayer l’individu. Son point de vue est original. Elle a, en effet, observé : « l’incidence négative de la déliaison sociale des parents sur leurs capacités de transmission des valeurs et des interdits aux enfants » à partir d’une étude qu’elle a menée dans des milieux ruraux et/ou dans les banlieues. La déliaison sociale entraînerait, pour elle, l’impossibilité, chez les parents, de transmettre les repères symboliques, les limites et les interdits. Elle insiste, évoquant Lacan, sur le déclin de l’imago paternelle source de lien familial et du lien social et sur la nécessité d’une circulation libidinale des éléments symboliques dans le psychisme des parents pour qu’ensuite cet intrapsychique vivant vienne nourrir la relation à leurs enfants. Après avoir revisité la question du surmoi personnel et culturel, elle parcourt la question de l’anomie ; la désagrégation du lien social a une fonction désobjectalisante, la déliaison porte atteinte à la fonction paternelle, le père est attaqué et sa place dans la chaîne des transmissions est compromise.
Bernard Juillerat introduit le problème par une réflexion anthropologique à partir d’une recherche chez les Yafar de Papouasie-Nouvelle Guinée. Ce n’est pas le sexuel et ses organes qui suscitent, pour cette petite communauté, l’interdit, mais ce qui a trait à l’enfantement. Dans ce cas, c’est la fécondité qui dissimule le sexuel, en effet il y a chez eux transgression de l’interdit de l’inceste au profit de la fécondité de la terre – par exemple, le sang de la défloration de la jeune fille par le père est répandu sur les lieux de culture. De multiples exemples, tous plus intéressants les uns que les autres, l’amènent à conclure que pour ce peuple il y a coupure entre sexualité et fertilité, celle-ci s’exprime dans la société et la problématique de la première reste prisonnière de l’individu.
Hélène Parat à la suite de N. Zaltzman pose la question de savoir si l’inceste est une notion psychanalytique. Le texte d’H. Parat va mettre en parallèle les points de vue de plusieurs anthropologues, Lévi-Strauss, F. Héritier et M. Godelier, sur la question de l’inceste et les mettre en discussion avec la théorie psychanalytique sur le sujet. L’entrelacs des champs et leur complexité entraîne un débat ancien entre le socius et l’individu, finit-elle par conclure après une intéressante réévaluation de ce qui différencie le point de vue de l’anthropologue et celui du psychanalyste, qui passe inévitablement par la théorie sexuelle infantile et l’universalité du complexe d’Oedipe.
Juan Eduardo Tesone s’attache à trouver le lien entre une problématique narcissique et la transgression de l’interdit de l’inceste, dans l’inceste père-fille. A partir d’une expérience clinique, il retrace le vécu traumatique de l’enfant incesté et analyse sa perte d’identité par rapport au père qui, lui-même, par ce geste, enlève son individualité à l’enfant. Il met en travail la question du double dans l’inceste, qu’il situe du côté de Narcisse plus que du côté de l’Œdipe.
« On pourrait presque dire que la femme dans son entier est taboue… » Cette phrase résume à elle seule l’ensemble de l’article très vivant de J Schaeffer. Elle s’applique en effet à montrer à travers l’Histoire, la Mythologie et les Religions, ce qui chez la femme a été ou est encore considéré comme tabou. Elle parcourt ainsi tout ce qui fait la spécificité de la femme dans les détails et montre l’ambivalence qui fait passer un même tabou de l’impur ou sacré.
Les responsables de ce numéro ont ensuite repris l’important article de D. Anzieu : « Le double interdit du toucher ».
Jacques André revisite la question du toucher dans la cure. Toucher du corps, toucher des mots, il rappelle l’origine de l’interdit du toucher chez S. Freud à partir de son expérience avec les obsessionnels et leur manière de sexualiser la pensée. Il rappelle que « Totem et Tabou » impose la question du toucher au cœur de la théorie et la pratique analytique. Il conclut par cette jolie formule : « A fleur de peau, à fleur de mots ».