André Green se propose d'actualiser en ce début de millénaire ce qu'il faudrait retenir des acquis théoriques et pratiques de la psychanalyse, en un nouvel Abrégé de psychanalyse – répondant ainsi au Freud de 1938 –, sous forme d'une synthèse des concepts ou des idées directrices qui guident aujourd'hui son travail psychanalytique. L'auteur y voit un dur chemin où la langue bute toujours sur ses limites dans son effort pour rendre compte du psychisme, dans un contexte de crise de la psychanalyse, marqué par la fragmentation de son savoir et sa dispersion. La diversité des pratiques touche à l'unité de la théorie et l'absence d'homogénéité requiert un travail de pensée qui rende compte des contributions des auteurs post-freudiens et se place dans l'horizon épistémologique actuel, mais surtout orienté et organisé par les exigences spécifiques d'une pensée clinique.
L'ouvrage commence par une "brève histoire subjective" de la psychanalyse depuis la seconde guerre mondiale. La première partie s'intéresse à la pratique de la psychanalyse et met en évidence dans le travail du psychanalyste le rapport interne entre les caractéristiques de la cure classique et les psychothérapies pratiquées par des psychanalystes. Après un chapitre consacré à l'indication thérapeutique, c'est au cadre – externe et interne – conçu sur le modèle du rêve, au processus et au transfert que s'attache la réflexion. L'examen du couple transfert - contre-transfert permet de nouvelles manières d'envisager la cure et de concevoir la fonction du cadre. Le transfert (et le contre-transfert) sur le cadre, c'est-à-dire la façon dont le cadre est vécu et signifié par l'analysant en est l'un des éléments. Dans l'étude des axes organisateurs de la pathologie, sont examinés les pathologies de la sexualité, du Moi et du Surmoi, mais aussi la destructivité, qu'elle s'exerce contre l'objet ou qu'elle soit orientée vers l'intérieur. Psychanalyses et psychothérapies doivent ainsi être déclinées au pluriel, et l'évaluation de leurs résultats, si elle ne peut se fonder sur des enquêtes soi-disant objectives ni sur le seul critère de la tolérance ou de l'intolérance du patient au cadre proposé, doit faire l'objet d'une réflexion des analystes. Surtout, il importe de former les analystes à la pratique de psychothérapies aussi proches que possible de l'analyse.
La deuxième partie de l'ouvrage est un réexamen de la théorie psychanalytique qui commence par retracer les coupures épistémologiques de Freud, depuis le modèle du rêve jusqu'à celui de l'agir, et propose un renouvellement de la théorie à partir d'une claire distinction entre la lignée subjectale et la lignée objectale. L'analyse du matériel ne doit pas s'en tenir à la distinction entre représentations et affects mais faire place aux éléments de caractère, aux inhibitions et compulsions, aux angoisses de séparation, d'abandon et de perte d'objet, qui comme le deuil sont sources de la douleur psychique ; elles se distinguent des angoisses d'intrusion, d'implosion et de morcellement ; mais il faut aussi prêter attention aux débordements du psychisme (par l'hallucinatoire, l'agir ou les somatisations) ainsi qu'aux troubles de la pensée. Espaces et temps hétérogènes méritent notre attention. La liaison est un concept qui aide à dépasser les différences entre l'expérience du temps, l'intemporalité et la compulsion de répétition. L'expérience du temps devient en effet effective par des processus de reconnaissance.
A partir d'une réflexion sur le tiers analytique et sur les processus primaires, secondaires et tertiaires, André Green présente alors des thématiques qui lui sont chères : les configurations de la tiercéité d'une part, le travail du négatif d'autre part, avec en particulier ses élaborations sur l'hallucination négative et sur le narcissisme négatif. La reconnaissance de l'inconscient suppose que l'on prenne acte du champ de la méconnaissance et de son ampleur, pour dégager les facteurs de la reconnaissance et les formes de reconnaissance inconsciente, expression paradoxale qui aide notamment à situer le domaine de l'art (et celui de la psychanalyse dans son approche des productions culturelles). La réussite d'une psychanalyse (la "guérison") est indissociable d'une reconnaissance de l'inconscient qui n'est pas forcément de l'ordre de l'insight, mais se vérifierait bien plutôt dans la capacité de créativité ou de confrontation aux grandes œuvres de la culture.
Les rapports entre structure et histoire et le concept de valeur sont ainsi pour André Green des concepts indispensables à la psychanalyse, ainsi que le recours à une théorie des gradients. La psychanalyse ne saurait s'isoler du reste de la vie culturelle ni se dispenser de se penser d'un point de vue épistémologique. C'est aussi pourquoi l'ouvrage s'achève par un addendum soucieux de situer la psychanalyse par rapport aux modèles biologiques et anthropologiques dans notre contexte de postmodernité. Réflexion à la fois conclusive et ouverte, cette somme de la pensée psychanalytique permet à la fois de présenter la psychanalyse "dans tous ses états", et de donner au lecteur psychanalyste le moyen de revoir, de repenser et d'orienter sa pratique de manière plus claire et plus lucide.