L’hystérie qui a été à l’origine de la découverte de la psychanalyse existe-telle encore ?, se demandait Litsa Guttières Green dans un article paru en 2003.1
ChristopherBollas est psychanalyste, membre des Instituts Psychanalytiques de New York et de Los Angeles, formé au sein de la Société Psychanalytique Britannique (émargeant au Middle Group). De plus, écrivain et dramaturge, il est l’auteur de très nombreux ouvrages psychanalytiques en langue anglaise mais reste relativement peu connu en France.
De ses quelques livrestraduits en français 2l’Hystérie semble le plus abouti. .
Cet ouvrage, publié en anglais en 2000, est issu de séminaires consacrés à un réexamen de la question de l’hystérie dans les années 80-90, à partir du constat de la confusion induite par la généralisation du diagnostic d’états-limites.
Bollas définit alors ce qu’il appelle par « hystérie ».
L’hystérique peut être un homme ou une femme.
«Son corps lui impose une logique qu’il déteste. Ce corps qui suit des lois biologiques, il le remplace par un corps imaginaire et il manifeste sa détresse en s’en prenant à la vitalité de certaines de ses parties, sans guère s’intéresser à sa propre misère. Il ne lui oppose qu’indifférence. Sa sexualité est pour lui chose clivante et, bien qu’il refoule toutes les idées sexuelles, il découvre qu’elles se changent plutôt, paradoxalement en foyers incandescents: le refoulé s’efforce sans cesse de faire retour dans sa conscience. » (p. 9)
Bollas, s’emploie ensuite à trouver une théorie qui tisse l’ensemble de ces traits spécifiques en puisant chez les grands auteurs de la psychanalyse: Fairbairn, Winnicott, Masud Khan, Lacan, Laplanche, et …Freud.
« Ma théorie part de la conception freudienne de l’hystérie, quoique je mentionne des points de désaccord. Indubitablement j’ai été influencé par la théorie britannique de la relation d’objet, les écoles de Mélanie Klein et de Donald W. Winnicott, et par la théorie psychanalytique française, tout particulièrement les travaux de Jacques Lacan ». (p.10)
Mais cette théorie profondément repensée n’est plus comme chez Freud, centrée sur le père. Elle procède, en amont , des rapports des mères avec leurs tout-petits.
À partir de la notion du Soi, Bollas va développer une métapsychologie personnelle, accordant une grande importance aux relations d’objet infantiles, soulignant à quel point ces relations vont déterminer le caractère du tout-petit.
À la différence d’une conception étroitement limitée au monde interne de l’enfant de l’approche kleinienne , les enjeux intersubjectifs et environnementaux sont manifestes chez Bollas.
Il précise ce qu’il entend par « mère » considérée comme un processus avant d’être un objet: « bien que cela puisse effectivement décrire une composante réelle du maternage, on y inclura également des facteurs environnementaux qui perturbent le tout-petit, ainsi que les projections, de l’enfant sur la mère, de vécus qui sont en définitive propres à la condition même de l’enfant ». (p. 19)
Il définit alors « les troubles du caractère » comme un aménagement du fonctionnement psychique, un certain ajustement opéré par rapport à la mère.
Situant l’hystérie dans les troubles du caractère, Bollas va différencier les différents diagnostics (narcissiques, pervers, états-limite, schizoïdes, hystérique) à partir de la relation avec l’objet primaire.
Il va démontrer dans tout son ouvrage que pour l’hystérique: «…Ce qui fait défaut (ici), c’est un sens inconscient du désir maternel pour le corps sexué de l’enfant- en particulier pour ses parties génitales ». (p.25).
La mère de l’hystérique aime l’être de son tout- petit mais elle éprouve de l’aversion pour sa sexualité. Elle offre alors de réparer cela en déplaçant l’érotisation vers les zones non génitales du corps mais aussi en déplaçant son investissement sur toutes les « histoires » qu’elle raconte à son enfant.
Ceci produirait un vécu qui va sexualiser en surface l’ensemble du corps de l’enfant , vecteur érotique d’une libido décentrée du génital. L’autoérotisme compensera le manque du désir maternel.
En constant désaveu à l’égard de son corps, l’hystérique s’excusera pour tout ce que lui impose la chair.
L’hystérique fait de son corps l’agent privilégié de sa propre déchéance, parce que sa bio-logique lui fait monter à la tête des représentations à caractère sexuel. Ces idées sont soit refoulées soit converties dans le corps lequel est abhorré en silence sous le couvert de belle indifférence.» (p.285)
Tant que l’hystérique affiche un corps où la jouissance sexuelle n’est pas génitale, il (ou elle) arrive à maintenir le lien entre son existence corporelle et le désir de sa mère.
« L’hystérique choisit de maintenir constamment en vie un enfant ingénu au plus profond de soi, s’acharnant jusqu’à son dernier souffle à exister comme un petit garçon ou une petite fille idéale. » (p.259)
Profondément ambivalent face au devenir adulte, l’hystérique tisse une relation ambivalente au père.
« Le père interne est ici une structure fragile. Confronté au besoin de s’adapter à la réalité, l’hystérique déteste la structure psychique qui arrache progressivement l’enfant aux bras ouverts de la Vierge-mère. » ( p.287)
Avec des chapitres au titre hautement évocateurs où foisonnent des exemples cliniques (allant du petit Hans, Emmy ou Dora jusqu’aux derniers cas de supervision) Bollas va dérouler l’histoire psychique du Soi hystérique: refoulement, conversion, indifférence, transcendance, histrionisme.
Les deux derniers chapitres (Les drogués du transfert et Le thérapeute face à la séduction) s’adressent particulièrement aux psychanalystes au travail avec les hystériques et proposent des éléments de diagnostic s’appuyant sur le contre-transfert.
A contre courant de la classification du DSM où l’hystérie a disparu , éclatée en de multiples symptômes (de la personnalité histrionique à de la dissociation en passant par les troubles conversion) Christopher Bollas réussit le pari de nous la présenter dans cet ouvrage , en une forme unifiée, intégrée et dynamique, à la croisée de la biologie, du développement psychique, de la relation d’objet, des forces de la culture et du symbole.
Brigitte MOISE-DURAND 4 juillet 2018