Professeur honoraire de psychiatrie de l’enfant, à l’Université René Descartes Paris V, psychanalyste, membre titulaire de la société psychanalytique de Paris, Michel Soulé se situe dans cette lignée de psychiatres d’enfants de la première heure, se référant à la pensée psychanalytique. Cet ouvrage est un recueil de textes de conférences ou d’articles publiés. Bernard Golse l’introduit par une préface très personnelle où il fait état de ses liens privilégiés avec l’auteur, de son admiration et de sa reconnaissance pour celui-ci.
Le titre nous indique d’emblée quelle va être l’atmosphère de ce livre. « Histoires », le pluriel nous renseigne sur la forme adoptée par Michel Soulé pour enseigner la psychiatrie infantile à ceux qui ont « vocation » à travailler avec les enfants en difficulté. Ce sont des contes auxquelles nous invite cet « explorateur » du monde de l’enfant. Pour autant, le sujet est envisagé avec le plus grand sérieux. Psychanalyste avant tout, M. Soulé traite cet ouvrage sous cet éclairage, mais ce qui fait l’originalité de cet auteur et qui a fait sa réputation, c’est sa façon d’aborder les problèmes les plus graves avec un humour qui n’est jamais déplacé ni grinçant mais plutôt, en s’identifiant totalement au patient, qu’il soit enfant ou parent, ou aux soignants quand il veut faire comprendre à ceux-ci l’enjeu de leur travail. Cet ouvrage, d’une grande richesse, parcourt des champs multiples que M. Soulé a explorés au cours de sa très longue carrière.
Dans la préface B. Golse nous signale que ce livre se divise en quatre parties : la première partie réunit des articles d’intérêt général, comme « Le fantasme du roman familial et les nouveaux modes de filiation », « L’aire potentielle de jeu oral entre la mère et son nourrisson », ou encore une « Contribution clinique à la compréhension de l’imaginaire des parents »…. La deuxième partie est axée sur l’enfant imaginaire, le bébé et les organisations psychosomatiques précoces, la troisième est consacrée aux problèmes de la filiation ou de l’adoption. Quant à la quatrième partie, elle est plus nettement centrée sur la psychiatrie infantile et la position des soignants dans ce champ.
Afin de donner un aperçu de la forme de cet ouvrage je prendrai comme exemple le chapitre sur le cirque, cher au cœur de Michel Soulé. Celui-ci s’intitule : « Œdipe au cirque ». Sujet d’une conférence à la S.P.P. en mars 1979. Il y étudie : « L’Auguste et le Clown blanc » plus particulièrement, mais avant cela il situe le cadre et en profite pour mettre en lumière les enjeux de la mise en scène du cirque pour l’enfant et les correspondances qu’il y trouve avec son monde interne. Pour M. Soulé, le travail du clown est une « co-création » entre le ou les acteurs et les enfants. L’aire de jeu, véritable aire intermédiaire permet la projection des conflits de l’enfant, on peut dire des gros mots, les animaux sauvages sont domptés (« Thème symbolique de ses phobies vespérales »), ils font leurs déjections au milieu de la piste sous le regard de tous… La femme phallique grimpe à une corde raide qu’elle tient entre ses jambes… Bref, M. Soulé nous donne ainsi mille exemples de cette expression libérée des fantasmes et conflits de l’enfant. Puis tout aussi sérieusement il aborde l’aspect transgénérationnel de ce spectacle où toutes ces choses se passent sous le regard ravi et complice des parents et grands parents.
Il en vient ensuite à une étude beaucoup plus affinée de l’Auguste, c’est un personnage complexe qu’il nous présente ! Celui-ci est un enfant un peu grand, fixé à un stade antérieur au sien : « Tant par le choix des objets libidinaux que par ses modes de gratification ou de défense pour écarter l’angoisse ». Il a gardé les théories sexuelles infantiles (on lui tape dans le dos, il sort un œuf de sa bouche !) Il n’a pas dépassé la pensée magique. Son analité est flagrante (on pourrait penser qu’il a fait une selle dans son pantalon large !), nous fait remarquer l’auteur ! Qui poursuit en évoquant la mère « bafouée » par l’Auguste déguisé en tutu avec des jambes poilues ou avec une robe à falbalas et un grand chapeau, de gros seins et des fesses volumineuses, montrant ainsi les émois non maîtrisés nous dit encore M. Soulé, attaqués et déniés par le comique. Et celui-ci de conclure : « En somme, l’Auguste montre qu’il n’a rien refoulé, qu’il ne maîtrise pas le processus des sublimations et n’accède pas à la pensée symbolique. Au passage, M. Soulé fait des liens avec la théorie freudienne et pose des éléments diagnostiques de psychiatrie infantile. Il termine le chapitre par un exemple clinique, comme il le fait tout au long de l’ouvrage.
Ceci n’est qu’un exemple de la richesse avec laquelle les thèmes sont abordés ; l’humour et la vitalité qui émanent de ces textes ne cèdent en rien au sérieux avec lequel l’enseignement de la psychiatrie infantile traverse ce livre étonnant. En précurseur reconnu sur le sujet, M. Soulé nous fait part aussi de son travail sur les questions actuelles concernant le fœtus et tous les modes de procréation assistée.