Histoire de l’autisme de Jacques Hochmann restera comme un ouvrage de référence tant il apparaît exhaustif et documenté. L’auteur, bien connu pour ses nombreuses publications sur les traitements institutionnels et psychanalytiques des enfants autistes, prend pour point de départ le constat de la répétition, à l’identique, génération après génération, de conflits idéologiques apparemment irréductibles autour de la prise en charge de ces enfants.
Ces conflits semblent se rejouer, sur le mode de la surdité et de l’excommunication mutuelle. Rien n’est plus facile que de nous le démontrer en reprenant toute l’histoire des traitements de l’autisme infantile depuis « Victor », l’enfant sauvage de l’Aveyron, premier exemple de traitement moral d’un probable autiste et sa contestation radicale par Seguin à la génération suivante.
Dès cette époque les idéologies s’affrontent : Seguin, prenant le contre pied des théories « condilaciennes » de J.M. Itard, met sur pied à l’hôpital de Bicêtre une école destinée à assurer aux « idiots » une éducation spécialisée.
Cette confrontation armée entre les tenants d’approches exclusives les unes des autres marque toute l’histoire des idées et des traitements appliqués à la pathologie autistique. Le mot même de pathologie étant d’ailleurs, en soi, polémique.
A travers ce thème, c’est au fond toute l’histoire de la psychiatrie et de la place de la folie dans la culture que retrace Hochmann. Depuis les expériences les plus effroyables d’enfermement asilaires (parfois au nom des meilleures mauvaises raisons) jusqu’aux errances abandonniques de patients jetés tels quels sur les routes au nom d’idéologies variées, toute la gamme des inventions cliniques et des prise en charges des pathologies mentales en général et de l’autisme en particulier est prise en compte par l’auteur. Or, à force de ces allers retours et de ces mouvements de répétition apparemment inéluctables, de temps à autre, surgissent tout de même quelques pépites, véritables inventions capables d’ouvrir une fenêtre à la pensée face à des systèmes de théorisation profondément paralysants et mortifères.
Cependant cette lutte d’exclusivité (entre les tenants d’une « étiologie » psychique avec ses traitements « moraux » et, à l’opposé, la revendication d’un manque institué et constitutionnel (handicap) relevant exclusivement de techniques éducatives) reste particulière aux enfants autistes.
Hochmann remarque avec raison que, pourtant, seule la conjugaison de multiples facteurs de vulnérabilité semble à même de produire un modèle explicatif suffisamment complexe pour rendre compte de la diversité extrême au sein de cette catégorie clinique. La multiplicité des possibles facteurs éthio-pathogéniques devrait nous inciter au bon sens.
Chaque enfant devrait pouvoir être pensé dans sa singularité et les modalités de prise en charge, diversifiées, multiples, s’articuler les unes aux autres et se succéder dans le temps en se coordonnant.
Car c’est du mouvement entre ces différents aspects de la prise en charge, dans leur tension conflictuelle même, que la dynamique d’un traitement peut se trouver le mieux soutenue.
Au terme de ce tour d’horizon, brillant et complet, surprenant à bien des moments, Hochmann en appelle sans surprise au dépassement de ces clivages récurrents comme autant de tentatives de résistance à l’intolérable du transfert propre à ces pathologies.