Hamlet et Hamlet est un livre hors du commun d’une richesse exceptionnelle.
L’auteur rappelle d’emblée son ouvrage de 1982 dont la réédition aujourd’hui, écrit-il « n’a pas fait l’objet d’une quelconque révision et n’est que l’occasion donnée de prolonger ma réflexion »… » par des données plus actuelles ».
Toutes les publications d’André Green s’inscrivent dans le parcours d’une pensée qui se déroule, se développe, se nourrit de sa propre réflexion et de l’évolution de notre époque.
Hamlet peut-être la plus célèbre tragédie de Shakespeare lui offre un support exemplaire pour son étude. Il se penche très minutieusement sur le texte et sur la réalisation théâtrale de sorte qu’au fil du déroulement de l’action se précisent tous les mystères du personnage d’Hamlet et du questionnement qui le tourmente et de ceux des protagonistes qui l’entourent.
Peu à peu le théâtre lui-même – avec tout ce qu’il met à l’œuvre de rituels, de technique et de construction avec la magie des comédiens : en un mot tout ce qui aboutit à l’envoûtement du spectateur –, devient aussi son objet d’étude.
La psychanalyse se démasque d’abord dans cette écriture enveloppante que l’auteur a choisie. Avec subtilité, sans lourdeur ni dogmatisme les non-dits s’imposent et l’émotion les confirme. Dans cette captation du lecteur, comme dans celle du spectateur au théâtre, de tous côtés surgissent les questions et chacun va y rencontrer les siennes propres. Ainsi s’amorce une réflexion nouvelle ou bien un approfondissement, s’impose un éclairage jusque là négligé sur un sujet de rêverie récurrente. Comme l’ondulation concentrique grandissante produite par un caillou tombé dans un bassin tranquille ride bientôt toute la surface de l’eau, l’esprit se trouve entraîné dans une ronde d’interrogations avec chacune sa réponse vite devenue provisoire, dans une stimulation étourdissante, qui aveugle et ravit en même temps. Comme dans la rencontre de la représentation avec le spectateur, celui-ci doit se laisser faire et entrer dans le jeu qui fait de lui partie prenante de ce qui se joue, dans la mesure où il devient le maître de l’avenir du spectacle.
Hamlet et Hamlet doit se lire et se relire en acceptant de suivre le fil que l’auteur nous tend. On rencontre alors les découvertes princeps de Freud et toutes les résonances et tous les échos que la psychanalyse offre aux questionnements de notre époque, en insistant sur la question du féminin, continent noir qui préoccupait l’homme aux cigares. André Green pourrait bien nous montrer que ces questionnements ne sont que le visage actuel de ceux que les contemporains d’Hamlet étaient poussés à ne savoir résoudre que par le meurtre et la mort – encore que l’actualité montre la permanence de cette issue. Et le livre se clôt sur la vision la plus archaïque de l’amour … celle d’une scène primitive lieu de violences fantasmées.
La « représentation », sur la scène du théâtre ou celle de l’esprit, quelle meilleure image de la cure peut-on imaginer ? L’un qui montre et qui parle, l’autre qui se cache, écoute et renvoie par cette écoute du sens et de la vie. Par une sorte d’enchaînement naturel, des rapports nouveaux apparaissent qui étoffent et éclairent la vision première et vont donner sens à l’ensemble, mais un sens jamais définitif ouvrant sans cesse sur une énigme nouvelle qui ne s’éteint qu’avec le dernier soupir.