Ce livre s'adresse tout d'abord aux jeunes médecins et soignants en psychiatrie, mais il est tout autant une réflexion sur la transmission de la pensée freudienne en psychiatrie et en médecine. C'est aussi un cri d'alarme sur ce que deviennent les conditions de travail face à la souffrance psychique et, au-delà, sur notre monde. Courageux et pessimiste, il nous convainc de ne pas abandonner. Il n'est pas qu'un plaidoyer pour une espèce en voie de disparition : les psychanalystes psychiatres travaillant dans le service public.
Il est surtout une méthode. Partant d'une longue expérience clinique sur le terrain de l'hôpital, alliée à la pratique de la psychanalyse en exercice privé, Florence Quartier invite :
– tout d'abord à se situer : la position du soignant est à construire et à maintenir contre nombre de vents et de marées ;
– à réfléchir à la pratique de l'entretien nécessitant aménagements et ménagements ;
– à lire Freud en choisissant une reprise du parcours de l'inventeur de la psychanalyse dans son contexte et en vagabondant au besoin d'un texte à l'autre ;
– à intégrer notre intérêt pour la littérature et la poésie, terreau indispensable pour vivifier notre sens de l'humain et de l'image, et notre humour.
En filigrane de ce texte alerte et tonique, court une véritable réflexion épistémologique sur la constitution du savoir psychiatrique, sur les pressions idéologiques risquant de façonner la formation des médecins, sur la prescription des médicaments.
« Freud clinicien » est aussi un hommage à l'enseignement et au partage avec les pionniers de la psychiatrie de secteur (Philippe Paumelle), aux psychanalystes engagés en psychiatrie (René Diatkine), aux praticiens de l'esprit (Gladys Swain). Un hommage pour ce qui a été transmis : surtout pas une préconisation à rester les gardiens de l'héritage.
Ce livre offre en outre le plaisir d'un style fait de simplicité, d'humour, de l'art de passer du particulier au général, de la clinique à la théorie, de l'institutionnel au politique. C'est un livre où les idées circulent, les exemples cliniques et les discussions venant appuyer l'idée forte qui en est le centre : Freud était un clinicien dont le rapport avec la « théorie » était fondé sur la souplesse, la remise en question et la reprise dynamique du travail. C'est de cette dynamique que nous pouvons nous inspirer et non pas de l'exégèse ou du dogme.
Le plus étonnant sans doute, c'est le pari sur lequel se fonde ce livre : il serait possible de rendre accessible les éléments essentiels de la psychanalyse dans la formation psychiatrique sans pour autant postuler que tous doivent devenir psychanalystes ou faire l'expérience personnelle de l'analyse. Il est possible de transmettre le sens de l'inconscient. Florence Quartier y parvient avec la rigueur de ses bases théoriques et sa souplesse. Mais aussi en fournissant des représentations savoureuses : « l'inconscient, c'est une part qui échappe, une part qui reste inconnaissable dès le début de la vie, une force vive sans cesse à l'œuvre. Il module, entraîne l'activité consciente vice-versa. Cette dynamique conscient/inconscient, c'est comme respirer. On ne peut pas ne pas ! ». Une objection peut venir à l'esprit du lecteur : peut-on s'inspirer de la psychanalyse par la lecture, la discussion et la clinique sans l'expérience personnelle du divan ? Florence Quartier ne s'attache pas à cette discussion fondamentale. Elle est engagée dans une invitation à un parcours. Et là est sans doute l'essentiel : pour les jeunes, bons connaisseurs de la neurobiologie et des médicaments, « l'accès à la parole est en quelque sorte interdit ». Pourtant il est évident que leur sensibilité à la parole est là, même s'ils sont accablés par les gardes, les questionnaires et les conduites à tenir. En psychanalyste, Florence Quartier termine en pointant ce conflit. Et l’on referme le livre stimulé par la dernière remarque qui enjoint sur un ton affectueusement bourru : « Faites-vous entendre ! » Et si l'un des jeunes lecteurs la prenait au mot et lui répondait ?
Au travail ! Telle est la conclusion, somme toute pleine d'enthousiasme, de ce livre qui s'adresse aux jeunes en premier lieu, mais incite les plus anciens à ne pas se décourager et à faire front, face aux risques de déshumanisation de notre monde.