Sylvie Faure -Pragier est une grande figure de la SPP, où, au fil des ans, elle a mené de nombreux travaux, animé divers séminaires, et assuré des responsabilités importantes. Le présent ouvrage se compose d’entretiens avec Christiane Schaffner, membre de la société suisse de psychanalyse, où elles retracent à deux– car parfois c’est plus un dialogue que des entretiens – le parcours de Sylvie Faure -Pragier. C’est un parcours riche et original, qui témoigne d’une grande liberté de pensée, et aussi d’une modestie certaine. Un itinéraire intellectuel qui mêle les idées, les éléments auto biographiques, les anecdotes et les points historiques. On sent que l’intervieuweuse doit la pousser un peu pour que l’auteure développe ses idées, comme si elle n’était pas convaincue de leur importance.
Nous démarrons avec l’enfance et la jeunesse de Sylvie Faure -Pragier. Fille d’Edgar Faure, politicien connu, et Lucie Faure-Meyeret, femme de lettres, elle a été élevée dans une ambiance intellectuelle très stimulante, entourée d’hommes politiques et d’écrivains. Mais elle a néanmoins décidé de faire des études de médecine. Etudiante, elle a eu ses deux filles, faisant l’expérience du double rôle de femme au travail et de mère, car elle voulait assurer elle-même les taches maternelles, alors qu’elle avait souffert d’avoir été beaucoup confiée à des nounous.
C’est dans le domaine de la médecine, en tant qu’attachée au ministère des Affaires sociales de 1968 à 1972, qu’elle a eu une certaine influence sur des décisions prises par son père, en particulier pour promouvoir l’indépendance de la psychiatrie en la séparant de la neurologie. C’est en assistant aux consultations d’André Green à Sainte Anne, qu’elle a découvert son intérêt pour la psychiatrie, puis la psychanalyse. Elle a été encouragée à faire le cursus par Sacha Nacht, directeur de l’Institut de Psychanalyse, poste qu’elle occupera un demi-siècle plus tard.
Puis ce sont les supervisions avec Francis Pasche et Janine Chasseguet-Smirgel, avec qui elle partageait, dans l’ambiance effervescente des années soixante-dix, l’intérêt pour la question de la féminité, qui est devenu un de ses champs de recherche. Dans Les bébés de l’inconscient, paru en 1997, elle s’intéresse à la procréation médicalement assistée (PMA), qui suscitait plutôt des réticences auprès des analystes à l’époque. Loin des polémiques idéologiques, elle explique que c’est sa clientèle de patientes ayant des problèmes d’infertilité, puis les patientes en couple lesbien, qui l’ont confrontée à ces expériences imprévues. Elle n’a pas cherché à les faire entrer dans les cadres théorico-cliniques connus, mais à soutenir les progrès techniques de la procréation, sans préjugés ni jugement moral. Sylvie Faure -Pragier a développé une analyse fouillée de l’infécondité de la femme avec une pensée non-conventionnelle. C’est l’écoute des patientes qui l’a amenée à s’éloigner de la théorie oedipienne classique qui était dominante – « les patientes que je voyais me racontaient autre chose » - pour montrer que ce qui est en jeu dans ce qu’elle appelle l’inconception, c’est la relation complexe à l’imago terrifiante de la mère pré-génitale, omnipotente et phallique.
Sylvie Faure -Pragier renouvelle la conception du développement psycho-sexuel de la fille. Si elle affirme qu’il reste toujours une part de mystère dans la féminité, elle se demande aussi si la situation a changé et si « ce qui était attribué à la femme était en fait une réponse sociale qui s’est transformée ». Elle s’est trouvée en débat avec celles qu’elle nomme les « ecolopsy ». En fait, dit-elle avec prudence, il faudra attendre pour savoir ce que ces enfants issus des TPMA, devenus adultes, devenant parents à leur tour, ont à dire de leur situation.
Dernier volet de ce parcours, c’est l’ouvrage écrit avec Georges Pragier, Repenser la psychanalyse avec les sciences, en 2007. Sylvie Faure -Pragier explique comment leur est venue l’idée de se lancer dans cette entreprise audacieuse, à partir de la pensée complexe d’Edgar Morin. Sylvie Faure -Pragier et Georges Pragier affirment qu’il faut faire travailler dans le champ de la psychanalyse les modèles scientifiques d’aujourd’hui, en les utilisant comme des métaphores, afin de répondre à une série de questions que pose la psychanalyse contemporaine. Le thème essentiel qui traverse tout l’ouvrage, c’est la remise en question du déterminisme linéaire, qui marque la pensée freudienne, conformément aux modèles scientifiques de son temps et que les avancées contemporaines de la psychanalyse, en lien avec les nouveaux modèles scientifiques, viennent bousculer.
Se pose la question épistémologique fondamentale qui agite de manière controversée les débats relatifs au rapport entre psychanalyse et sciences : est-il légitime, pertinent, fécond d’utiliser une métaphore issue d’un modèle scientifique récent ? Sur cette question, les deux auteurs ont rencontré beaucoup de réticences. « A mon avis, trop d'analystes souhaitent retourner aux explications classiques et estiment que sa structure préexistait à la survenue du symptôme (…) Il semble difficile pour eux d’imaginer que quelque chose de nouveau ait pu tout à coup se produire. »
Sylvie Faure -Pragier est une psychanalyste résolument moderne. Cheminant hors des sentiers battus, avec une grande indépendance d’esprit et une liberté de pensée, elle a ouvert des perspectives très utiles pour les psychanalystes d’aujourd’hui, en particulier les jeunes, confrontés à des cliniques nouvelles, et le choc du Covid, qui bousculent le cadre traditionnel et demandent de renouveler les outils psychanalytiques.
Simone Korff Sausse
Shaffner Christiane, Fertilité de la psychanalyse contemporaine, Entretiens avec Sylvie Faure-Pragier, Préface de Jacqueline Godfrind, Etudes psychanalytiques, Ed L ’Harmattan.
ISBN 978-2-343-19354-0.
Mots clés : féminité infertilité sciences