François Duparc organisait en mai 2000, avec le Cercle d’Études Psychanalytiques des Savoies, un colloque à Annecy autour de l’oeuvre de J.-B. Pontalis, en sa présence. L’ouvrage qui en résulte et dont il est question ici reprend les contributions des intervenants, suivies, pour chaque intervention, d’une réaction de J.-B. Pontalis. La seconde section comporte deux de ses articles et un texte inédit.
Les thèmes choisis nous offrent trois ouvertures vers une œuvre (terme qu’il récuse) profonde et féconde, dont la qualité littéraire n’est pas le moindre des attraits. Le premier, “Les enjeux : du rêve à la mort” est traité successivement par Claude Janin et André Beetschen. Claude Janin, soulignant la tension qui parcourt toute l’oeuvre entre confiance absolue dans l’écriture et défiance relative envers le langage, la situe toute dans cet “entre-deux” dont Freud écrivait à Fliess qu’il est notre royaume, entre l’exigence métapsychologique et l’étranger en nous, entre savoir et aveuglement suscité par le savoir, entre Freud et Winnicott, “entre le rêve et la douleur”, entre l’effort maniaque du langage pour maîtriser l’écart inévitable d’avec la chose et sa mélancolie de ce qu’elle soit irrémédiablement absente ; André Beetschen, quant à lui, se donne pour tâche d’explorer cette “part d’ombre de l’expérience analytique”, quand dans le “silence hostile, la fureur, la passion”, l’entreprise est mise en péril, quand la rencontre “affronte la défaillance du langage plutôt que son triomphe”. Il s’arrête sur le terme “d’acharnement”, et sur ce que celui-ci fait entendre, de la prise du corps et de la chair avec l’acte (l’Agieren freudien), soulignant combien, malgré son retour constant à l’“Au-delà...”, J. B. Pontalis maintient la déliaison de l’acharnement dans le champ du sexuel. Quand il pense pulsion de mort en séance, répond J. B. Pontalis, c’est effectivement plutôt du côté de l’inanimé.
La seconde partie, “Les outils : de la chair au langage”, est constituée des interventions de Dominique Suchet et Jacques Dufour. Le très beau texte de D. Suchet plante le portrait d’une œuvre toute dans la tension entre l’image et le mot, la sensorialité et la vie de l’esprit, sans que jamais l’arrachement ne soit ce qui résout la tension. Les mots chez J. B. Pontalis excédant de beaucoup leur signification et ayant eux-mêmes un parfum, ne naissent pas dans le discrédit de l’image. “Écrire la psychanalyse au risque de se perdre”, tel est l'intitulé de l'intervention de J. Dufour : il y suit le trajet d’un psychanalyste passé de “l’écrit théorique” – écriture de la théorie qui aurait “laissé un blanc” – au lieu même de ce qui soutient la théorisation, un ”deuxième mouvement” de l’écriture de Pontalis naissant de ce blanc et aboutissant à son dernier opus, “Fenêtres”.
“Le voyage : le temps et le retour”, troisième thème retenu, est traité par François Gantheret qui, dans “Le temps d’un voyage”, s’attache à “ce temps qui ne passe pas”, à cette “cinquième saison” chère à Pontalis, questionnant au passage une “infirmité essentielle” dont serait pour lui porteur le langage – ce qui introduit à une discussion sur l’interprétation. Guy Cabrol dresse, à travers un retour sur plusieurs textes d’époques différentes, une traduction de l’œuvre à travers une “recherche du mal de mère” depuis l’expérience analytique elle-même, expérience de langage, s’arrachant à la perte, à celles de ses vicissitudes qui sont toujours travail infini de deuil, jusqu’à la plus éprouvante, la réaction thérapeutique négative, que J. B. Pontalis décrit dans “Non, deux fois non” comme “une folle passion... pour guérir la mère folle à l’intérieur de soi”.
La table ronde peine à “maintenir un petit niveau de conflit” selon l’expression d’A. Beetschen, malgré un retour de F. Duparc et de lui-même sur la pulsion de mort – et J.-B. Pontalis nous renvoie à la lecture du “Bartleby” d’Hermann Melville, dont il traite dans son article “L’affirmation négative” repris en fin d’ouvrage, avec “Rêver nos morts”, et “Marginalia”, extrait inédit de son “cahier privé”.