Une femme adulte qui, le matin cache son « doudou » pour le protéger et le retrouver encore intact le soir pour s’en caresser le visage, le humer, le téter ou le froisser ! Quelle est cette fable me direz-vous ? Eh bien, elles sont très nombreuses les femmes adultes qui font cela, nous dit l’auteure de cette étude. Ce n’est pas un phénomène marginal mais c’est du domaine de l’imperceptible à première vue, nous sommes dans la sphère du privé. Cet ouvrage est une étude psychopathologique du quotidien.
Dans sa préface J. André rappelle les mots de S. Freud évoquant la liaison originelle de la femme à la mère et la difficulté de certaines à se tourner vers l’homme. Il ajoute que la première relation d’une fille à sa mère est difficile à saisir parce qu’elle est : « blanchie par les ans, pareille à une ombre, à peine susceptible d’être rendue à la vie, comme si elle avait succombé à un refoulement particulièrement inexorable. »
Du maternel il y en a beaucoup dans ce Doudou mais pas seulement nous explique M. Saïet, et c’est du maternel primaire dont il s’agit : fouissement, caresse, frottement sont les mots qui accompagnent la description des gestes qui emmènent l’adulte à l’endormissement avec le doudou. C’est en effet la recherche d’un apaisement puis d’un sommeil très profond qui est recherché grâce au doudou. Celui-ci devient le gardien d’un sommeil abyssal, un voyage sensuel est évoqué, on parle de sensations uniques, indescriptibles.
Il est une source de plaisir caché pour ces femmes, elles le défendent avec une certaine violence et ne trouvent pas étrange d’en avoir un tel besoin. Le langage est très particulier pour dénommer ce doudou, il n’est pas dans le champ du collectif et n’a pas besoin d’un nom générique, nous dit l’auteure, c’est un « truc », un « machin ».
Est-ce un fossile d’une sexualité infantile clivée de la sexualité génitale se demande l’auteure ? Peut-on y voir une organisation érotique anale quand on pense que cet objet est rarement lavé – car il y a l’idée de garder son odeur pour, surtout, préserver la continuité – ; or il est promené sur tous les endroits, non orificiels, de la peau. Il y a sans doute là, la recherche de l’odeur du sein maternel aussi.
Toutes ces femmes évoquent ces « sensations uniques » qu’elles éprouvent avec ce doudou mais aussi cette « isolation » grâce au doudou. Sont-elles dans un monde narcissique absolu, se demande l’auteure ? Sont-elles dans une régression thalassale?
Comme on le voit M. Saïet aborde de très nombreux thèmes, elle balaye la question de l’objet transitionnel et explore les liens du doudou avec le fétichisme et les procédés auto-calmants. Elle reprend la question de l’acquisition du pré-langage et la nomination de l’objet transitionnel.
D’un contenu éclectique, cet ouvrage est attirant par la grande originalité de son sujet. L’auteure explore, comme on l’a vu de vastes champs pour arriver à cerner ce que représente le doudou pour la femme adulte mais nous aurions aimé que, sans enfermer cette étude dans une conclusion, on ne reste pas dans cette impression d’avoir été entraîné dans une multitude d’hypothèses sans vraiment en extraire une idée plus globale. Il n’en reste pas moins que c’est un livre que l’on peut lire avec plaisir et il est intéressant de constater, qu’alerté par cette lecture on constate, par soi même, que ce n’est pas du tout un sujet marginal.