Catherine Chabert, membre de l'Association psychanalytique de France, rassemble, complète et remanie des articles antérieurs qui donnent une forme nouvelle à sa réflexion sur l'association provocante entre féminin et mélancolique, dénonçant les destins et les formes convenues d'une féminité trop hâtivement associée au masochisme et à la perte, aux débordements d'affects et à la détresse, fût-ce avec les contrepoints de la révolte et de la revendication de reconnaissance dans le triomphe du maternel et son omniprésence idéale et inquiétante. Dans l'œuvre mélancolique, au-delà du flou de l'identité de l'objet perdu et du retrait narcissique, c'est peut-être le flou de l'identité sexuelle qui se gagne, un retour de la bisexualité infantile préservant à tout prix une toute-puissance formidable derrière la destructivité qui lui sert d'écran.
Or la méthode analytique offre, dans la cure, une possibilité exceptionnelle au déploiement du féminin mélancolique gr‚ce à l'expérience transférentielle et aux éprouvés parfois envahissants drainés par les représentations communes ou rares du féminin et de ses avatars. Féminin et masculin sont tous deux engagés dans ce double mouvement de toute cure : les réseaux compliqués du complexe d'Œdipe et les arcanes de l'angoisse de perdre l'amour de l'objet. L'analyse, par la mise au présent qu'elle induit, assure l'affrontement des forces contraires, sans abolir la violence pulsionnelle et la cruauté des images, mais en permettant d'en saisir l'infléchissement par le surgissement des fantasmes et des affects. Devant la réémergence de la détresse et la prévalence de la solitude, le recours mélancolique œuvre parfois afin que soit trouvée la cause du mal, au sein de cet entre-deux animé par la configuration originaire mère-enfant dans sa vivacité à la fois rêveuse et charnelle.
Une première partie, consacrée aux voies intérieures, explore la passivité et les fantasmes de séduction, l'ombre de Narcisse notamment dans la réaction thérapeutique négative, l'alternative entre masochisme et mélancolie, la douleur. Les élaborations consacrées ici au fantasme de l'enfant mort sont d'une pertinence particulièrement puissante. Une seconde partie intitulée “ Perdre, retrouver ” s'attache à la question de la place et de l'identité : Mélie ne dit pas non, ne prend pas de positions subjectives, elle énonce sans négation, elle énonce sans “ je ”. Mais l'existence d'un je qui représente, d'une figure de soi garante de la réalité d'exister s'attache immanquablement à ce qui s'éprouve, à condition que soient reconnues la qualité et l'appartenance des ces éprouvés. Cette reconnaissance passe par l'autre, son regard, son attention et ses mots, renouant la connexion entre l'intime et l'étranger, entre le sujet et l'autre ; ainsi l'absence de soi cesse de menacer le moi et la négation peut advenir. Malgré la crainte de l'effondrement, voici qu'advient la possibilité de donner sens à l'absence, manifestant l'espoir au cœur de l'Hilflosigkeit : celle-ci n'est pas seulement déprivation mais attentes et mouvements pulsionnels susceptibles de prendre forme, au rythme du temps intérieur qui appartient au patient.
Rigoureux et sensible, intriquant avec force et finesse les évocations cliniques et la pensée analytique, ce livre nous ramène sans cesse à l'expérience de la cure et aux enjeux qui s'y déploient.