Comme le souligne la préface de F. Guignard, jamais Antonino Ferro n’a autant fait travailler la pensée de Bion que dans cet ouvrage, avec sa clinique vivante, rigoureuse et concrète, vigoureusement mise en scène.
Un premier chapitre présente les facteurs de maladie et les défenses, de manière assez typologique, et avec une terminologie qu’il explicite pas à pas. Dans cette perspective, les pathologies peuvent tenir à une carence de fonction a (capacités de symbolisation) mais aussi à un développement inadéquat ou insuffisant des “ dérivés narratifs ” de la pensée onirique de veille nécessaires pour en assurer le traitement et la contenance. Il est enfin des pathologies suscités par l’excès d’éléments b par rapport aux possibilités de transformation (situations traumatiques). Outre les mécanismes de défense classiques, A. Ferro signale l’importance des “ faits non digérés ”, partiellement traités seulement, et en attente de transfert et de transformation. Quant aux comportements de toute puissance, il faut distinguer la tendance au contrôle total sur le monde pour qu’il n’émerge pas de précurseurs d’émotions qu’il ne serait pas possible de gérer, et l’accrochage désespéré ou “ syndrome du naufragé ”. La fonction a de l’analyste tisse un récit possible, fruit d’une rêverie dans la “ cuisine analytique ”.
L’objectif de l’ouvrage est de montrer comment le fonctionnement mental de l’analyste entre en jeu jour après jour dans les interactions et les échanges verbaux avec le patient. Les moments de dysfonctionnement mental de l’analyste sont pour le patient des faits douloureux, mais ils sont aussi une source d’informations inépuisables sur les modalités d’accouplements entre les appareils psychiques et sur la façon dont tout cela est continuellement raconté par le patient – pour peu que l’analyste sache l’entendre.
Et c’est effectivement une éducation à l’écoute et au dialogue analytiques qui nous est proposée tout au long de ces chapitres qui racontent des fragments de séances : écoute de patients enfants ou adultes, parfois très souffrants ou très régressés, mais qui toujours savent très bien indiquer (sans s’en rendre compte) par les oscillations de leur fonctionnement mental et par les images qui leur viennent à l’esprit ce qui leur convient ou ce qui leur manque. L’auteur dégage la différence entre les cultures de la rêverie et les cultures de l’évacuation. Il montre l’effet de contenants inadéquats sur la violence des émotions, et la façon d’élargir les capacités de contenance. Parmi les thèmes-clés de l’ouvrage, notons la pensée onirique, l’importance de la dimension narrative, la “ démocratie des affects ”, les gradients de fonctionnement de l’analyste, les crises liées à des événements charnières ou à des âges charnières ainsi qu’un commentaire d’Evidence de Bion. Une réflexion sur le rôle de la narration en psychanalyse clôt et synthétise les principaux apports de l’ouvrage sur les fabulæ des patients et les différents scénarios par lesquels l’analyste reçoit et voit chaque communication : scénario historique (extérieur), monde interne, relation actuelle analyste / analysé, et champ d’ensemble qui contient l’ensemble de ces scénarios. A. Ferro reconnaît que les concepts classiques comme résistances, défenses, objets internes et fantasmes inconscients perdent finalement de leur pertinence dans son modèle “ narratologique - transformationnel - de champ ” ; mais nous avons beaucoup à apprendre du point-clé de sa réflexion : comment les récits permettent des transformations et comment les transformations se font à travers les récits.