Dans la société actuelle, où nous assistons avec affliction au naufrage de la psychiatrie, secteur en voie de désertification, qui privilégie l’insertion sociale au détriment du soin, la santé mentale au détriment de l’intérêt pour la folie, il est réconfortant de lire un ouvrage qui privilégie au contraire le soin en l’étudiant dans tous ses aspects.
C’est une vaste entreprise que nous propose Jean-Claude Polack, puisqu’il s’agit de faire un état des lieux, approfondi et multiple, de la psychothérapie des états psychotiques. Son ouvrage s’appuie sur une expérience longue et nourrie en tant que psychiatre et psychanalyste avec des patients psychotiques, dans la mouvance de la clinique La Borde, la psychothérapie institutionnelle, Jean Oury et une connaissance approfondie des idées de Felix Guattari.
Difficile de rendre compte des nombreux chapitres qui s’enchaînent autour de thèmes, selon une organisation qui n’est pas sans rappeler le modèle de Deleuze et Guattari, de diagrammes et cartographies, au plus près du processus psychotique. En effet, les références de l’auteur sont multiples au risque de paraître dispersées, mais en réalité l’aspect foisonnant du texte, la multiplicité des auteurs et des ouvrages évoqués, le passage parfois hâtif d’un plan à un autre, d’une discipline à une autre, correspond à l’approche deleuzo-guattarienne, qui postule l’hétérogénéité de la vie mentale. « La rencontre ressemble au mélange de deux ensembles proliférants : les entrelacs du patient et les réseaux virtuels du thérapeute s’anastomosent en plusieurs points d’un rhizome d’affects et de représentations ».
La cure des états psychotiques implique l’examen des moyens et des motivations dont on dispose en se posant toujours la fameuse question de Tosquelles « Qu’est-ce qu’on fout là ? » Cette approche requiert de la part du thérapeute, avant tout, engagement et présence, loin de ce que Jean Claude Polack dénonce comme « nosographie mondialisée », en explorant les agencements du couple soignant/soigné, qui peuvent suivre des modalités atypiques et non-conventionnelles.
« Mais il faut souvent déroger à ces règles – bouger, marcher, fumer une cigarette, manger ou boire, regarder des photos, lire une lettre écrite ou reçue par le patient, faire un tour dans la cuisine, passer au secrétariat. Sortir dans la rue, prendre un verre au café du coin. Déambuler à deux dans le jardin du Luxembourg. Se taire et marcher. » De cette rencontre particulière avec le psychotique, Jean Claude Polack avait donné de magnifiques exemples, sous forme de narrations, dans un ouvrage précédent, (L’intime utopie, travail analytique et processus psychotiques, écrit avec Danièle Sivadon, PUF, 1991)
Au fil des pages sont étudiées toutes les questions concrètes que pose la psychothérapie des psychotiques : l’argent, la demande, le cadre, les médicaments, la parole et le silence, l’interprétation, la rencontre avec les familles. A lire ces pages denses, la psychothérapie avec le psychotique apparaît comme un trajet, un voyage qui requiert de la part du soignant un décentrement, et de la part du malade, « qu’il abandonne ses construc-tions défensives – son mode de guérison – et revienne aborder aux rivages du monde où vit et pense celui qui le soigne ».
C’est à l’étude des méandres de ce cheminement que nous invite Jean Claude Polack.