Dans cet ouvrage collectif, sont publiés un certain nombre de textes rassemblés par Béatrice Ithier, psychanalyste de la SPP et de la SPI-Pavie et de l’API. D’emblée, on est frappé par la diversité des articles et des auteurs et la dimension internationale de l’ouvrage (Royaume-Uni, États-Unis, Brésil, Portugal, France et Italie).
Le sous-titre du livre, « Approches contemporaines », indique l’orientation des travaux présentés et l’intérêt que présente cet ouvrage pour le lecteur, à qui il fait connaître les nouveaux courants, encore peu connus en France, postfreudiens, et plus particulièrement, kleiniens et post-kleiniens, bioniens et postbioniens. Comme le dit le titre, ils privilégient l’affect et l’émotion. Bion résume cette perspective en une phrase fondatrice: « Ce qui a lieu dans le cabinet de consultation est une situation affective », [1970, p. 118].
Un premier chapitre de René Roussillon rappelle la conception psychanalytique de l’affect chez Freud. C’est le point de départ à partir duquel les chapitres suivants vont développer ces approches contemporaines, tantôt d’inspiration plutôt kleinienne, tantôt résolument bioniens. En chemin, cités par l’un ou l’autre auteur, nous rencontrons d’autres analystes d’importance, Antonino Ferro, Ogden, Meltzer, Grotstein, César et Sara Botella, qui ont tous contribué à cette mouvance, et dont plusieurs ont été traduits par les éditions Ithaque, permettant au lectorat français d’en prendre connaissance.
D’après Freud, nous ne parvenons pas à inclure le rêve dans la vie psychique, « parce que nous ne savons pas apprécier psychiquement un affect autrement qu’en le mettant en connexion avec un contenu de représentation ». Cette idée a été peu reconnue par le monde analytique, alors qu’elle est fondamentale pour la question de l’articulation entre affect et représentation.
Béatrice Ithier éclaire la pensée de Bion, en soulignant à quel point c’est un renversement du modèle psychanalytique classique. Bion a opéré une transformation radicale de la métapsychologie freudienne des pulsions, en une métapsychologie des liens. L’esprit devient une étoffe vivante. Ce dont témoigne la très belle couverture de l’ouvrage, qui montre un fragment d’étoffe de la période byzantine (Louvre).
Il faut tenir compte, dit-elle, de l’évolution de la pensée de Bion, car lors de ses dernières années, le late Bion a abordé, après L’Attention et l’interprétation, de nouvelles notions, comme le point 0, les césures, la mémoire implicite, une nouvelle conception du rêve, un autre statut de l’inconscient.
Howard Levine explore quelques notions qui caractérisent ces approches contemporaines – affect, émotion, sensations, sentiments - en montrant qu’elles sont issues de la pensée de Bion, mais aussi en lien avec la psychanalyse française (Green, Laplanche et Pontalis)
L’ouvrage se termine avec un très beau chapitre de Giuseppe Civitarese et Sara Boffito, Le monde de nous. « Le « nous remplace le je/tu et le ici et maintenant remplace le là-bas et le jadis ». Pour Giuseppe Civitarese, excellent connaisseur et commentateur de la pensée de Bion, (c’est lui qui avait rédigé le rapport sur la notion des transformations chez Bion pour le congrès de la SPP de Gênes, 2018) tout ce qui se passe dans la séance est un élément qui « nous » concerne, non le patient ou l’analyste, mais le champ intersubjectif dans lequel ils sont immergés. Ce que dit Thomas Ogden de manière très imagée. « Il faut deux psychés pour penser les pensées les plus perturbantes d’une personne ».
Un excellent index des noms propres et des notions complète l’ouvrage, et en fait un instrument de travail pour ceux qui auraient envie de s’intéresser davantage à ces courants contemporains de la psychanalyse.
Simone Korff Sausse