Analyste britannique formée par Hans Sachs et James Glover, Ella Sharpe garde de sa formation initiale de professeur de littérature une attention clinique à la langue et au texte produit par l’analysant en séance. Elle fut l’analyste de Melitta Schmideberg, la fille de Mélanie Klein. Ses textes, traduits pour la première fois en français, éclairent la psychanalyse telle qu’elle se pratiquait en Angleterre dans les années 1930. Ils sont ici commentés par des analystes de l’Ecole freudienne : Jean Triol, Jean-Yves Méchinaud et Robert Samacher, et référés aux remarques et commentaires de Lacan sur cette œuvre.
Marie-Lise Lauth présente le parcours d’Ella Sharpe en insistant sur ses thèses sur l’art, sublimation enracinée dans les premières identifications aux parents, sous forme d’incorporation magique, ainsi que sur la compréhension du langage métaphorique dans l’énonciation des patients.
Dans ses conférences de 1930 sur « L’analyste » et sur « L’analysant » – qu’elle écrit « analysand » –, Ella Sharpe insiste sur la curiosité et l’ouverture nécessaires à l’analyste. La fin de l’analyse suppose d’avoir résolu son transfert envers son analyste et d’avoir reconnu ses fantasmes d’omnipotence et ses tâches aveugles. La technique de la psychanalyse est un art, un savoir-faire du singulier, qui se développe à partir d’un intérêt fondamental pour la vie et les pensées des gens. « Ce qui doit nous intéresser le plus c’est l’étoffe même de la vie /…/ quelle que soit la direction d’où nous puissions obtenir ce savoir ». C’est à partir de cette orientation fondamentale que sont abordés le traitement de l’angoisse, la compréhension des raisons des symptômes d’un analysant, les qualités et l’équilibre nécessaires à un analyste.
En 1940, Ella Sharpe examine la métaphore dans la parole des patients, qui révèle et cache à la fois la pensée et les affects. L’article fourmille d’exemples et développe la thèse que l’image du patient condense et concentre des expériences vécues oubliées, et témoigne donc d’un savoir qui ne se sait pas. C’est la proximité entre cette thèse et les élaborations de Lacan que commente à ce propos Jean Triol. Les trois derniers articles repris sont consacrés à l’analyse d’un rêve (1937), à certains aspects de la sublimation et du délire (1930), et à l’impatience d’Hamlet (1929) lié à un deuil non fait.
On ne peut que se réjouir d’avoir accès à cette œuvre à la fraîcheur et à l’enthousiasme remarquables, qui nous montre une analyste au travail avec rigueur et simplicité. Les commentaires tendent à s’effacer devant la force des textes qui nous sont restitués et qui nous renvoient sans cesse à notre propre pensée clinique.