Le livre dirigé par Annie Elisabeth Aubert et Régine Scelles s’intéresse aux situations de détresse dans lesquelles le clinicien se confronte aux difficultés de la rencontre avec un sujet ou un groupe de sujets en souffrance personnelle et sociale, sans qu’ils expriment directement une demande. Il s’agit d’élargir le regard clinique pour recueillir les signes de souffrance tels qu’ils sont déposés, en s’interrogeant sur ce qui vaut comme symptôme. Ce point de vue suppose d’accepter des changements touchant le lieu d’exercice, les relations pluridisciplinaires et inter-institutionnelles. L’attention porte sur les trois niveaux de défaillance de l’environnement – dyade première, relation parentale, contexte social et culturel – qui ont pu susciter des vicissitudes du processus de subjectivation.
Le livre est organisé en trois parties. La première propose une grille de lecture de ds interrogations critiques pour comprendre les formes actuelles d’expression de la souffrance liées aux situations extrêmes. A propos de la nature des traumatismes en cause, Michèle Bertrand pose la question des problématiques identitaires dans leurs liens aux défaillances de structuration du narcissisme ; Régine Scelles montre les entraves aux processus d’identification primaire qui peuvent être induites par l’abord des personnes handicapées, y compris dans les dispositifs de soins. Le « hors norme » peut être source d’angoisse déshumanisante et de difficultés d’empathie.
La seconde partie, face à l’externalisation de la vie psychique qui caractérise ces situations, appelle à définir la trajectoire du projet thérapeutique : comment favoriser l’usage du thérapeute, et non plus seulement de la réalité sociale, au service de la relance du processus de subjectivation. A. Aubert, à partir du fonctionnement en équipe élargie, évoque la relance de la subjectivation dans une perspective d’ « analyse transitionnelle ». D. Mellier montre la spécificité du travail d’accueil de la souffrance lorsque la précarité psychique est au premier plan. F. Houssier dégage les paradoxes du travail thérapeutique institué par décision de justice. Isam Idriss, à partir d’une consultation familiale transculturelle interroge la transmission transgénérationnelle et la construction de l’identité d’enfants de migrants qui, du fait de leurs passages à l’acte, sont confrontés au passage par la prison.
La troisième partie présente des dispositifs soucieux de structurer le soin dans et par le lien social, intégrant le travail thérapeutique dans la remise en route des processus de socialisation ou dans le travail de la culture. Chérifa Bouatta expose la mise en place de groupes de parole pour des femmes ayant subi le terrorisme en Algérie. Bernard Doray propose une « thérapie de resymbolisation active » prenant appui sur les prémisses de resymbolisation spontéanée du patient, mais n’hésitant pas à s’impliquer avec lui dans l’effort pour penser avec lui la réalité sociale et ce qui peut rendre le trauma symbolisable.
Le dispositif de soin ou d’aide n’est jamais donné, mais il se construit sur la scène de la rencontre. Une postface de René Roussillon engage la discussion avec les auteurs. Il spécifie la position d’écoute du praticien « côte à côte » avec le patient, attentif aux indices donnant accès aux états d’agonie du sujet. Le positionnement de pratiques cliniques atypiques dans des « interstices » institutionnels permet que se localise ce qui ne peut s’inscrire ailleurs. La réévaluation de l’engagement individuel et collectif du praticien révèle ainsi un rapport complexe à l’institué, qui invite à la vigilance, puisqu’il s’agit de sortir de dispositifs thérapeutiques préétablis, au profit de la reconnaissance de la vie psychique.