Donnet Jean-Luc, Dire ce qui vient; association libre et transfert, P.U.F., Paris 2016, ISBN : 978 2 13 073644 8.
Avec Dire ce qui vient, Jean-Luc Donnet nous livre ce qui serait le dernier volet d’une trilogie entamée avec Le divan bien tempéré (2002) et poursuivie avec La situation analysante (2005). Un commun souci de serrer les conditions et les enjeux de la pratique analytique réunit ces trois livres. Si les deux premiers étaient centrés sur la neutralité comme condition des transformations dans la cure et/ou la complexité des liens entre le(s) surmoi et le cadre, ici, il va s’agir du « jeu » analytique. Il faut dire qu’entre temps Jean-Luc Donnet a publié L’humour et la honte (2009) où l’assouplissement du surmoi (y compris dans sa composante maternelle) dans la cure se trouve relié à la capacité à l’humour.
C’est à distinguer deux plans (comme souvent chez Donnet), celui du procédé d’association libre d’une part et l’associativité en séance de l’autre, qu’il devient possible de « dissocier le contenu représentationnel des associations, de l’implication subjective du locuteur ». Certains patients se font à l’inverse « les spectateurs désimpliqués de leur paysage intérieur » ou bien fuient dans une parole compulsive le risque d’un vide psychique. Si les pensées incidentes semblent parfois avancer à tâtons vers un thème, les associations prennent sens, ailleurs, rétroactivement à partir du pointage d’un signifiant. En attendant, la réceptivité de l’analyste, sa confiance dans la dérive associative, permet à son « moi de tolérer la mise en latence de sa compulsion à la synthèse ».
Le transfert réunit l’analyste à l’objet du passé, faisant de la résistance à l’analyse une résistance à l’analyste capable de se dénouer par un transfert sur la parole. C’est par un agir de parole, véritable répétition agie, que se présentifie le passé dans la cure. Le passage de la mise en acte à la ressouvenance correspond à l’oscillation entre ces deux pôles de la parole, associative et compulsive, au sein de laquelle va s’opérer une transitionnalisation de l’espace de la cure. Portée par la parole, elle permet au patient de se vivre comme « l’auteur » de sa propre langue.
La règle induit deux positions contradictoires, d'affirmation du moi et de soumission au surmoi. Elle contient un « double message contre transférentiel » faisant du patient un enfant œdipien ou à l’inverse un « héros artiste ». Dans leur écart vont pouvoir se jouer les transformations induites par les processus de désidentification/ré-identification. A l’inverse, dans l’identification narcissique, les associations restent opaques; refusant la représentation de l’objet pour ne pas le perdre. Il faut alors des conditions particulières pour que les associations permettent l’élaboration interprétative.
La disjonction entre un analyste objet du transfert et un analyste adresse de la parole permet de rendre la séance « joueuse » ; de faire jouer la pensée et les mots entre le travail du transfert et son utilisation interprétative. A la légèreté d'interprétations dites analogiques, dans le jeu, s'opposent les interprétations profondes de transfert qui exposent toujours au risque de poser l'analyste en interprète omnipotent.
L’analyse, en permettant de nouer à l’agir de parole, une dramatisation oniroïde, confère à l’interprétation sa valeur contra-suggestive. La répétition agie, agieren, a la même force de conviction que le rêve, réalisant une transposition directe du passé qui fait l'impasse sur le système de représentations de l'inconscient au profit d'identifications inconscientes. Et la perlaboration dans la cure « fera la navette » entre recherche d'intelligibilité et expérience affective vécue en séance. C'est par des moments de régrédience formelle proches de l'hallucinatoire que les traces proto-représentationnelles des rencontres pulsion-objet pourront se figurer en séance. Son évènementialité psychique et discursive recrute par voie associative les traces mnésiques, les organisant après coup en représentations, et témoignant ainsi de la capacité d'émergence de la psyché.
La valeur irremplaçable de l'agieren tient à sa capacité à transformer une idée en situation, à la dramatiser, rétablissant transitoirement le lien entre les scènes intra et inter psychiques. Et s'il se présente souvent sous une forme opaque, discrète, obstinément répétitive, c'est qu'il concerne toujours à la fois un refoulement et un déni. La position de l'analyste, pas forcément ni toujours objet externe, le soustrait au dilemme dehors/dedans, lui permettant d'assurer une transitionalisation du transfert.
D'ailleurs, dans la quatrième partie du livre, Jean-Luc Donnet revient sur ses avancées concernant les liens entre assouplissement du surmoi et réconciliation du sujet avec ses identifications maternelles, en particulier au travers du jeu entre moi et surmoi que permet l'humour. Un humour qui puise sa source aux tensions identificatoires profondes d'un féminin primitif du sujet aux prises avec la puissance du féminin maternel. Un « chant des nourrices » tout à la fois consolateur et messager de la menace de castration. Il évoque la confiance de l'humoriste de pouvoir inconditionnellement disposer de l'environnement sur un mode transitionnel, confiance qui met en jeu l'identification primaire dans une situation originaire où la notion même de dépendance à l'objet n'avait pas cours. L'émergence d'une capacité à l'humour dans la cure est l'indice incontestable d'une évolution favorable surtout quand le patient peut s’y prendre lui-même comme objet.
Le processus humoristique peut dès lors être considéré comme une auto-représentation créatrice de l’aire transitionnelle. A ce titre elle permet à Jean-Luc Donnet de distinguer deux « styles » de séance. La séance « en première topique » est centrée sur le devenir conscient de représentations de choses inconscientes et ceci par les liens avec les représentations de mots. L’association libre y produit des compromis dont l’interprétation redresse les déformations. Le mot d’esprit y est congruent : une pensée préconsciente y est livrée à la pensée inconsciente, et la prime de plaisir liée au langage permet l’expression de motions censurées.
Tout autre est la séance « en deuxième topique » : moins marquée par les scansions du signifiant, elle repose avant tout sur les effets lents et invisibles de la perlaboration. Visant d’abord les résistances du moi et du surmoi, les remaniements n’y passent pas par l’interprétation (je souligne). Le médium privilégié y est l’expérience régressive du transfert et la possibilité de son accueil par l’analyste lié au travail de son contre transfert. La personne de l’analyste s’y trouve soudée à l’objet de transfert ce qui supposera une lente et progressive découverte par le patient du site analytique. Les interprétations visent moins à la transformation qu’à l’atténuation des positions identificatoires massives. L’analyste n’y cherchera pas tant à étreindre l’incendie de l’agieren (feu qui prend pendant une représentation théâtrale dit Freud), qu’à le circonscrire, à l’inscrire « dans la continuité d’une intrigue ».
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la transmission de la psychanalyse tâche que Jean-Luc Donnet considère comme impossible dans sa dimension d’expérience personnelle. La rencontre avec l’inconscient, ouverture hasardeuse sur l’inconnu, ne peut pas se transmettre. La psychanalyse, en revanche, dispose des moyens de la rendre intelligible et bénéfique ; ceux-ci peuvent, eux, s’apprendre ; se transmettre. De ce point de vue l’association libre, en renversant le rapport hypnotique, peut se comprendre comme une « transmission au négatif ».