L’intérêt de ce dialogue entre deux analystes de l’Association Psychanalytique de France dont le propos porte sur le cœur même de l’expérience analytique est indéniable, mais parfois obscurci par la complexité des propos et leurs allusions implicites à nombre de débats antérieurs.
Josef Ludin introduit la question en soulignant que l’idée de transfert reste souvent vague et les écrits qui s’y attachent bien répétitifs. Constater le fait du transfert ne suffit pas à en élucider la nature. Or l’essence de l’analyse joue sur l’histoire, donc sur la mémoire singulière et la narration. La proximité entre « projection et « transfert » fait également partie de la sémantique du mot Übertragung (transfert). Le « quelque chose » du transfert à l’œuvre est nommé par Lacan à partir de l’agalma du Banquet de Platon, ornement, phallus, idole ou icône, fétiche parfois. Par le biais du transfert, la représentation de l’affect se constitue ; le transfert crée l’objet interne, est ainsi générateur des éléments qui constituent la réalité psychique, tout en étant généré par elle. Cliniquement, il est un temps d’inaptitude à saisir l’avènement du transfert, temps pendant lequel on est plus ou moins captif, psychiquement pris par la présence de l’autre ; le psychisme travaille la rencontre, mais la compréhension court après. La présence des phénomènes du transfert est d’ailleurs omniprésente, car Eros est omniprésent.
A cette ouverture multidimensionnelle, Michel Gribinski répond en suivant le fil étroit de l’hallucination amoureuse, en quête d’un paradigme qui ne relève pas du savoir. L’homme reproduit ce qui lui échappe, une expérience inconnue de lui, une réalité perdue qui ouvre à la rdécouverte de sa propre nature. Le transfert met ainsi en œuvre le paradoxe de notre quête de réalité, que nous aimerions bien assigner à une forme et à une condition qui nous convienne, nous soit assimilable. Le psychanalyste interprète à partir de régimes du fonctionnement psychique qui sont des régimes de transition où la distinction entre réalité extérieure et imagerie, matériel psychique, n’est pas assurée. Cas limite de l’activité de l’esprit, l’interprétation psychanalytique nous donne à voir concrètement la psychanalyse comme paradigme à part du savoir. L’écriture psychanalytique risque d’ailleurs de confondre l’historicité et la recherche de la vérité. Le transfert est un acte amoureux où l’on s’invente ; ce réveil des motions amoureuses, aussi impérieux qu’inadéquat, implique toutes les clarifications et les débats sur la Regung, la motion pulsionnelle. De ce point de vue la passion de transfert (non passion de transfert, mais passion du transfert) est aussi une première fois, voire le seul événement réel : « le transfert reproduit une perte de la réalité, mais dans l’épreuve du transfert, une réalité (la même ? en tout cas pas tout à fait une autre) trouve, pour la première fois, son lieu ».
Le dialogue poursuit cette tentative de clarifier chacune de ces assignations du transfert : le « nous » du rêve et du transfert retient Michel Gribinski qui étudie également la culture politique du transfert. Josef Ludin, pour sa part en éclaire la « demi-vie », et la nature narcissique. Le transfert est-il à penser selon un pôle objectal ou à partir du pôle narcissique, est-il rencontre d’une altérité nécessaire ou expérience d’abord projective ? La complexité de la question de la nature du transfert, mais surtout l’essence même du transfert, suposait, ce livre en témoigne, une étude à deux voix et une part d’indécidable toujours en travail.