S’il y avait un reproche à faire à ce livre, ce serait d’être trop dense, chaque chapitre pouvant donner lieu à lui tout seul à un ouvrage complet. En effet, à la suite de publications multiples sur la périnatalité et les processus de parentalité, Sylvain Missonnier, psychologue clinicien, psychanalyste, professeur à l’Université Paris 5 Descartes, nous offre cette somme, où il reprend tous ses travaux et où l’on retrouve l’acuité de sa pensée, l’originalité de ses idées, souvent innovantes, et son style toujours vivant. C’est donc un livre qui pourra nous accompagner longtemps. A chaque lecteur de faire son miel dans les différents chapitres en les butinant selon ses intérêts cliniques ou théoriques du moment.
Difficile de rendre compte in extenso de tous les chapitres, tant ils sont riches, aussi bien en observations cliniques qu’en conceptualisations théoriques. En effet, l’auteur propose plusieurs modèles théoriques très innovants qui ouvrent des perspectives sur des nouveaux champs à explorer, comme celui de la virtualité, qui apparaît dans les premières relations parents/enfants, en particulier sous la forme de l’anticipation, dont Sylvain Missonnier dit qu’il continue à être l’un des éléments les plus utiles de ce qu’il appelle la « boîte à outils » du clinicien.
Si on voulait dégager un fil directeur à l’ensemble de l’ouvrage, ce serait celui d’un questionnement sur ce qui se passe à l’orée de la vie, à partir d’une double perspective : du côté du bébé, le devenant–humain, et du côté des adultes, les devenants-parents. Qu’en est-il du passage entre le prénatal et le postnatal ? Et que dire du fœtus, « personne potentielle » ? « Sa Majesté le fœtus » est en effet en train de devenir la vedette du champ de la périnatalité, nous dit Sylvain Missonnier.
C’est une véritable mutation anthropologique qui agite le monde de la périnatalité et oblige les cliniciens à remettre sur le chantier leurs outils méthodologiques et théoriques, ce à quoi cet ouvrage contribue de manière très féconde.
Dans l’institution maternité, « temple moderne de la fécondité », nous suivons l’auteur dans ses interventions auprès des bébés, des familles et des équipes, ce qui va lui permettre de développer un certain nombre d’idées, qui devraient être très utiles pour tous les praticiens qui s’occupent des bébés et leurs parents. Il est à noter - et le lecteur apprécie - que les idées sont toujours présentées avec beaucoup de rigueur conceptuelle, et de plus largement situées dans leur évolution historique. D’histoire, il est aussi question avec le récit du trajet personnel de l’auteur, dans ce champ de la psychopathologie périnatale, dont il souligne la formidable potentialité heuristique. Trajet marqué par la rencontre avec Serge Lebovici, que l’on sent très présent dans ces travaux et dont Sylvain Missonnier poursuit et prolonge l’œuvre.
Avec la notion de « premier chapitre », Sylvain Missonnier inaugure une préhistoire prénatale. Se faisant « spéléologue psychanalyste » (Sylvain Missonnier a le sens de la formule !), l’auteur fonde une anthropologie du fœtus, d’où il dégage un nouveau concept, celui d’une relation d’objet virtuelle (ROV), où s’origine la proto subjectivité. La ROV est une nouvelle modalité conceptuelle concernant les parents, l’embryon puis le fœtus, avec la constitution du lien réciproque biopsychique qui s’établit en prénatal entre les (re)devenants parent et le fœtus.
Si l’être humain a une existence psychique avant la naissance, cet intérêt pour le fœtus pose des problèmes éthiques complexes, car, comme le dit Sylvain Missonnier, on ne peut accorder un statut de sujet au fœtus ce qui aboutirait à une condamnation de l’IVG. La question reste posée et ouvrira certainement d’autres débats.
Avec Sylvain Missonnier, nous passons avec maestria de la clinique à la théorie, et vice versa, dans ce champ clinique qui s’ouvre aux explorations et aux traitements des psychanalystes qui consentent de s’y aventurer, et qui deviennent alors souvent de grands passionnés de ces zones en résonance avec les mystères de l’origine.