La nouvelle clinique des souffrances psychiques contemporaines manifeste une désertification psychique (Green, 2005). Elle se caractérise par l’incapacité à tolérer tant le conflit que le vide en soi, dans un monde social dominé par la désymbolisation, du fait de l’emprise de l’image et des forces économiques. La multiplicité des contacts relationnels ne fait qu’accroitre le sentiment d’isolement, tandis que s’accentue la difficulté des choix multiples à faire et à assumer, ainsi que la perte des supports symboliques liés aux idéaux. L’image du désert – destination touristique devenue à la mode – semble une métaphore appropriée au style de relations des Narcisses actuels. La description des conditions socio-culturelles du développement de la désertification psychique, marquée notamment par la sensorialité maternelle de l’image, aboutit à souligner trois caractéristiques : le « no limit » de l’état-limite, l’image de soi comme idéal narcissique et la façon dont la désaffiliation produit une « allergie à l’autre ». Ce vide est source d’une perte de sens. Gérard Pirlot décrit alors une clinique du vide : statistiques des troubles psychiques en France, suicide, schizophrénies – qui seraient peut-être des pathologies particulièrement sensibles aux conditions initiales de désert affectif –, états-limites, dépression comme pathologie de l’altérité et quête de sensations, automutilations, addictions (recherche de l’excès de sensations, défense contre le vide interne), hyperkinésie de l’enfant, liée au défaut de contenant parental, suscitant une médicalisation de l’enfance. Le vide de pensées se retrouve dans le surentraînement caractéristique de l’addiction sportive, la dépression essentielle, les troubles obsessionnels compulsifs et les troubles alimentaires.
Aux descriptions du vide succède l’analyse de la perte de sens liée à la faillite de la fonction paternelle. La désymbolisation règne, mal compensée par le « phallus du monde maternel scolaire et médiatique ». Dans ce télé-monde, manque un étayage parental et sociétal suffisant. L’idée de résilience entretient un espoir idéalisé et le stress masque le trauma. Même l’amour n’est plus, dans ces logiques, que transfusion narcissique. La douleur, « pliure de la sub-jectivité sur l’ob-ject dont on ne peut se séparer », est alors également la principale voie de contact avec soi-même, mais dans un débordement économique où la pulsion et l’affect ne parviennent pas à s’organiser. Littérairement, ce désert du faux-self est bien illustré par Richard Ford, Emmanuelle Bernheim ou Marie Darieussecq. Il se redouble dans le cognitivisme par la perte de sens des symptômes psychiques. Internet comme la spiritualité New Age ne connaissent plus ni limite ni réalité.
Le désir de désert peut renvoyer au « désert de sable permettant le déploiement du mirage de son moi illimité », mais également au face à face avec soi-même, et avec ses démons, ce que le voyage psychanalytique propose aussi, en l’animant de l’appel de la parole. Dans la Torah, dabar désigne la « parole » et la « chose », et la même racine DBR constitue le terme désert : midbar. En effet, en contrepoint à ces « déserts négatifs », l’auteur souligne la positivité de déserts intérieurs rencontrés dans des expériences mystiques, psychanalytiques ou scientifiques, conduisant à l’acceptation d’un vide intérieur indispensable au développement de la subjectivité et de la créativité. Le bouddhisme, Pascal, Descartes et l’astrophysicien Edgar Gunzig, qui passe du vide et de l’exil de l’enfance à l’intérêt scientifique pour le vide cosmique (Relations d’incertitude, Ramsay, 2004), en sont des exemples. L’auteur peut alors conclure sur les enjeux de la notion d’âme, reprenant l’histoire de ce terme ainsi que la distinction entre seelisch et psychisch chez Freud. En définitive, l’âme est ce qui aime et anime la place du négatif et du vide en soi.