Le titre de cet ouvrage attire remarquablement l’attention et suscite toute notre curiosité. L’introduction va encore plus dans ce sens. Cette dernière propose en effet une confrontation entre deux auteurs compatriotes et contemporains, à savoir Donald Woods Winnicott et George Orwell, qui ne se sont pourtant jamais connus personnellement et dont les idées montrent des similarités voire même un chevauchement mais aussi des différences.
Tous les deux sont considérés comme des ‘outsiders’ luttant contre la déshumanisation et refusant de s’inféoder aux dogmes. Tous les deux vivaient d’après leurs expériences, pour Winnicott la clinique et pour Orwell les exclus, ainsi que sous les auspices de leur créativité. L’auteur ne propose pas une comparaison simple mais une lecture de leurs ouvrages où existent des espaces permettant de dialoguer, de s’éloigner, s’ignorer ou s’enrichir.
Autant Winnicott qu’Orwell ont eu connaissance de l’œuvre de Freud. A 20 ans, Winnicott a lu ‘L’interprétation du rêve’ et a découvert sa passion. Orwell, lui, dénonça le totalitarisme et les compromissions des intellectuels et alla même jusqu’à prendre les armes dans la Guerre d’Espagne. Durant leur vivant, tous les deux ont dû endosser beaucoup de critiques et se sont engagés auprès des gens ordinaires qui sont, selon eux, la base de la société, notamment par rapport à leur créativité. Celle-ci n’a rien avoir avec la créativité artistique.
Le vrai self, jamais directement visible, car entouré du faux self, a intéressé les deux auteurs et Orwell exprime douloureusement le regret de ne jamais pouvoir réellement connaître l’autre. L’écriture tenait une place importante dans la vie de Winnicott et d’Orwell et ce sont les gens ordinaires qui en sont justement les destinataires. Dans ses écrits, Winnicott expose ses idées adressées aux mères ordinaires des quartiers défavorisés et ne donne jamais des conseils. L’écriture s’effectue dans la solitude, tenant lieu de retour à soi. Dans leurs ouvrages tous les deux utilisent les animaux car cela entraîne un décalage qui permet de présenter plus facilement un point de vue non conventionnel.
Malgré leurs réflexions et leurs écrits, Winnicott ne s’est pas considéré comme intellectuel et Orwell a montré une grande méfiance envers les intellectuels.
L’auteur expose ensuite le personnage de Julia du roman ‘1984’ de George Orwell et la peur de la femme de Winnicott ainsi que le possible devenir de Julia comme féministe militante. L’image, que donnaient ces deux auteurs de la femme fut, d’ailleurs, sévèrement critiquée par les féministes militantes.
Dans ce contexte, Orwell comme Winnicott s’interrogent également sur la loyauté comme composante de la vie quotidienne et des relations humaines et plus particulièrement comme une résultante des relations de soins et de solidarité entre humains, notamment entre soigné et soignant dans un sens large.
Autant que le concept de la mère assez bonne, d’ailleurs mal compris, que la notion de sollicitude et celle de socialisme ont chez Orwell et Winnicott un sens différent de celui communément admis, à savoir elles s’articuleraient autour du donner et du recevoir.
L’auteur termine son livre avec le constat d’une mauvaise interprétation des œuvres de Winnicott et d’Orwell et imagine une lettre qu’aurait pu écrire Winnicott à Orwell dans le but de la lutte contre la déshumanisation.
Au total : L’auteur utilise les concepts de Winnicott, les compare, donne la juste définition et les rapproche de l’œuvre d’Orwell, mettant en lumière leur signification pour Winnicott et comment Orwell a trouvé des choses identiques en tant qu’écrivain. ‘Gens ordinaires’ est à entendre non dans un sens péjoratif mais comme celui des gens soucieux des autres quand il le faut et capable de secret et de créativité comme force de vie.
Rénate Eiber (septembre 2020)
Mots clé : Winnicott, Orwell, créativité, gens ordinaires.
Le Goff Jean-François,Des gens ordinaires, avec George Orwell et Donald Woods Winnicott, Paris, Gallimard, 2018, ISBN 978-2-07-276405-9, 148 p.