Simon-Daniel Kipman, non sans ambition, se propose de prendre comme objet d’étude les passions. L’un des axes majeurs de l’ouvrage, comme l’indique le sous titre, est d’articuler les passions individuelles avec leurs aspects collectifs, car les événements contemporains montrent combien les comportements passionnels des individus peuvent mobiliser des groupes entiers, et combien des mouvements de foules peuvent rendre les individus, habituellement calmes, passionnés. Pour Simon-Daniel Kipman, l’articulation entre l’individuel et le collectif est une question cruciale pour l’avenir de la psychanalyse qui engage en particulier sa dimension scientifique. Or on sait que la scientificité de la psychanalyse est une préoccupation de l’auteur, qui en a traité dans un ouvrage précédent, La rigueur de l’intuition (Ed. Metailié, 1989).
L’auteur précise d’emblée que la passion n’est ni un concept philosophique, ni un concept psychanalytique. La passion n’est pas non plus l’équivalent de la pulsion, mais elle est « l’expression forte, massive, de pulsions intrapsychiques élémentaires, pulsions qui se trouvent elles-mêmes renforcées et magnifiées par des phénomènes collectifs ».
Pour rendre compte de la multiplicité des passions, l’auteur a recours à un procédé plutôt littéraire, qui n’aurait pas déplu à Perec. « Aucun ordre n’étant satisfaisant, j’ai privilégié le plus simple et le plus anidéologique : l’ordre alphabétique, mais approximatif ». Le lecteur voit alors se décliner toutes les passions, de la passion avaricieuse à la tristesse.
Dans une troisième partie, l’auteur aborde les passions collectives, mais intégrer leur dimension collective s’avère difficile, car la psychanalyse peine à trouve des modèles valables pour rendre compte des phénomènes interindividuels et a tendance à ramener l’analyse des groupes et des institutions (les institutions soignantes font l’objet de réflexions intéressantes) à un modèle individuel ou familial, qui est insuffisant. La difficulté vient du fait que « les foules ne parlent pas, elles ne réfléchissent pas. Elles agissent. » Comment dès lors en rendre compte, lorsque le langage est le domaine privilégié de la psychanalyse ?
Petit ouvrage court, mais très dense, écrit dans un style personnel, livrant au lecteur les mouvements et les engagements cliniques et théoriques de l’auteur. On devine les passions de Simon-Daniel Kipman lui-même : surtout la passion pour la psychanalyse, mais une psychanalyse ouverte aux découvertes et aux renouvellements, dans l’esprit de Bion, qui est un de ses auteurs favoris.
Cette approche intuitive donne un texte plaisant à lire, un peu en patchwork, qui nous fait passer d’une chose à l’autre, sans hiérarchisation. L’auteur multiplie les plans, décline des mots-valises, nous promène à travers les dictionnaires, empruntant à la philosophie, la psychanalyse, ou encore la poésie. Un cheminement plein de surprises et de découvertes, au cours duquel Simon-Daniel Kipman nous fait partager sa curiosité, dont il dit qu’elle est le moteur de ses recherches.