« Je fus témoin des étonnantes expériences de Bernheim sur ses malades d’hôpital, et c’est là que je reçus les plus vives impressions relatives à la possibilité de puissants processus psychiques demeurés cependant cachés à la conscience des hommes. » C’est dans ces termes que Freud rappelle dans son auto présentation de 1925, l’importance des travaux de ladite école de Nancy, dans la genèse de la pensée psychanalytique. Freud traduira d’ailleurs lui même le premier livre de Bernheim, « De la suggestion dans l’état hypnotique », paru en 1884.
Dans son dernier livre paru en 1911 et intitulé cette fois simplement « De la suggestion », Bernheim relativise l’importance de l’hypnotisme au profit de la suggestion dans l’effet thérapeutique obtenu. Tous les effets obtenus par hypnose sont reproductibles par la seule suggestion, dit-il, à condition que la suggestibilité du patient le permette. Sa critique de l’hypnose rejoint d’assez près celle faite par Freud bien des années plus tôt. Et il est assez surprenant de mesurer l’écart entre les idées de ce praticien reconnu de son temps et celles de Freud qui publie cette année là ses réflexions sur les deux principes du fonctionnement psychique. Aucune mention d’ailleurs chez Berheim des recherches freudiennes, qui font apparaître ses propres formulations comme appartenant à un autre siècle.
Le texte est cependant passionnant dans le portrait en négatif qu’il nous permet de brosser des idées cliniques de l’époque. Les très nombreux exemples cliniques sur lesquels il s’appuie gardent un effet de fraîcheur et de surprise saisissant. Cette clinique aujourd’hui semble disparue. Que sont devenus ces patients aux réactions spectaculaires et à la suggestibilité qui paraît invraisemblable au lecteur d’aujourd’hui ?
La suggestion, précisément, voilà ce qui fascinait ces auteurs avec une question prise dans les préoccupations sociales de l’époque et en particulier le registre de la criminologie. Dans quelle mesure était-il possible de suggérer des actes criminels à un sujet suggestible c’est une des question qui préoccupe Bernheim tout au long de son texte. Sa réponse de ce point de vue est ambiguë et de ce fait même intéressante. Oui, dit il, un effet de suggestion est possible mais pas au point cependant de suffire à exonérer totalement un sujet de la responsabilité de ses actes. Dans les exemples qu’il en donne, il parvient à obtenir par la suggestion des actes violents. Mais il remarque finement que le sujet garde une conscience du caractère expérimental de la situation dans laquelle il se trouve.
C’est comme si même en état de suggestion profonde, le sujet gardait une part de conscience de la réalité sociale, concrète, dans laquelle il se trouvait, celle de répondre à la demande de son médecin. Il démontre ensuite qu’en situation réelle, non protégé par la référence transférentielle, le sujet n’accomplirait pas son acte et que le sens moral ne saurait être totalement aboli par la suggestion.
Outre son intérêt documentaire, ce texte ce texte renvoie à l’analyste, comme dans une caricature, ses propres interrogations sur l’étendue et la finesse des effets de suggestion au sein de la cure. Bernheim, lui, manquait des repères de l’analyse du transfert et du contre transfert pour se repérer dans cette question.
D’autre part et chemin faisant, il explore un certain nombre de sujets qui restent d’actualité et qui se trouvent du coup remis dans une perspective temporelle inattendue. Ainsi par exemple de l’hallucinatoire et en particulier des hallucinations négatives dont Berheim dit qu’il ne connaît pas d’expérience clinique plus impressionnante. Encore faudrait-il s’entendre plus précisément sur les délimitations cliniques. Mais quoiqu’il en soit des déformations dues au recul du temps on ne peut que se féliciter de l’effort éditorial des éditions L’Harmattan pour rééditer ce texte oublié.