Des psychanalystes qui veulent faire de la littérature, il y en a. Ne dit-on pas couramment et un peu méchamment que bien des psychanalystes sont des artistes ratés ? Mais des psychanalystes qui proviennent à produire un véritable texte littéraire, c’est beaucoup plus rare. Or c’est cela que Gisèle Harrus-Revidi réussit avec ce petit recueil de nouvelles paru aux éditions Hermann. Cela pose la question de ce qu’est une création littéraire. Qu’est-ce qui donne à un texte son statut de littérature ? Comment définir les critères d’un texte littéraire par rapport à un texte psychanalytique ? Car des ouvrages de psychanalyse, l’auteure en a publiés, entre autres Psychanalyse de la gourmandise (Payot, 1994), Parents immatures et enfants-adultes (Payot, 2001)), Séduction. La fin d’un mythe (Payot, 2007) et auparavant un volume de la collection QSJ consacré à l’Hystérie (PUF, 1997).
Ici c’est autre chose. D’emblée, dès les premières lignes, et à chaque nouvelle, le lecteur est plongé dans un univers de fiction, où s’entremêlent des éléments drôles ou distrayants à une dimension tragique, ce qui me semble être la marque même de toute littérature. On pourrait alors répondre à notre question initiale en disant que ce qui fait œuvre littéraire, c’est la liberté d’expression. Dans la fiction, tout est possible et dans les nouvelles de Gisèle Harrus-Revidi, effectivement, les récits abondent en épisodes inattendus.
C’est une œuvre forte, dure même pourront penser certains. Là encore, j’y vois la marque de l’écrivain : rien de mièvre, rien de bien pensant. La mort est omniprésente. C’est un univers de fantasmes, d’événements peu probables, de destins implacables.
Si l’art de la nouvelle est de condenser en peu de pages une histoire complète et surtout de ménager une chute, l’auteure maîtrise très bien cet art. Pour cela, il fallait renoncer aux développements que nous chérissons dans nos ouvrages psychanalytiques, laisser tomber la vraisemblance, les positions éthiquement correctes, pour aller au plus près d’une réalité humaine autrement plus âpre, dévoilant une nature humaine moins policée, moins bienveillante et moins bien pensante, que nous savons pourtant bien être celle de l’inconscient. Il fallait du courage pour quitter ainsi les rivages plus connus et plus confortables – ceux des cas cliniques et des élaborations théoriques - que nous, psychanalystes, fréquentons habituellement.
Peut-on penser qu’il n’y a aucun rapport entre l’analyste pratiquant depuis de nombreuses années en tant que membre de la SPP et cette auteure de nouvelles, qui déploie un véritable talent de conteuse ? Ne fait-elle qu’aborder les mêmes réalités humaines sous une autre forme et en s’adressant à un autre public ? On retrouve en effet dans ces récits les réalités de nos patients que nous connaissons -les traumatismes, les échecs, les frustrations la répétition - mais la forme narrative leur donne néanmoins une dimension très différente. Il faut tout de même changer radicalement de position pour arriver à ce type d’écriture, ce qui induit l’idée, que d’ailleurs beaucoup d’artistes affirment, qu’il y un clivage entre le Moi de la personne de la vie quotidienne et sociale et le Moi du créateur. Tout comme Bion affirme qu’il y a des pensées qui cherchent un penseur pour les penser, on pourrait dire qu’il y a des œuvres qui cherchent un artiste pour les créer. Ce qui donne à la production qui en résulte son statut d’œuvre à part entière, qui se détache de celui qui l’a créée. Et c’est bien l’impression que l’on éprouve en lisant les nouvelles de Gisèle Harrus-Revidi : on plonge dans un texte littéraire et on oublie qu’il a été écrit par une de nos collègues.