La reprise récente par la comédie française de ce texte d'angoisse de Samuel Becket intéresse le psychanalyste par sa tentative de donner une forme partageable à l'insensé de l'expérience : un homme est allongé, seul, dans le noir. Il écoute une voix intérieure. A qui appartient-elle ? d'où vient-elle ?
Dans ce qui semble une longue nuit d’angoisse, l’homme explore toutes les possibilités. Cette voix dépend-elle de lui ? Et il modifie ses positions corporelles pour l’explorer. Ce commentaire à la deuxième personne du singulier s’adresse-t-il à lui ou a-t-il surpris la conversation d’autres ?
Mais la voix lui échappe aussi, enchainant des calculs absurdes ; il compte : combien de pas a-t-il marché depuis son enfance ? Combien de fois aura-t-il fait le tour de la terre ? Et puis elle faiblit parfois ou s’éteint, silence. Tension, attente. Et puis elle reprend.
Au fil de cette pérégrination de la voix, les souvenirs s’égrènent, des souvenirs de solitude : un père réduit à une ombre marchante, une mère réfrigérante et silencieuse.
L’homme étudie de près sa voix, sa direction, ses qualités, ses intentions implicites. Il remarque qu’elle crée en lui un éclaircissement du noir, une faible lumière qui disparait aussi quand la voix s’éteint. Une expérience sensorielle familière à chacun lorsqu’on est plongés dans une nuit sans lumière.
Si la voix rabâche ainsi n’est-ce pas pour forcer l’adhésion de l’homme à un souvenir dont il ne sait pas s’il est le sien ?
Martin Joubert.