Cet ouvrage, passionnant et agréable à lire, donne un éclairage sur les fondements psychiques et la signification inconsciente des comportements sexuels agressifs.
Les perversions dans notre société actuelle se caractérisent par une violence extrême ce qui rend leur abord difficile. Elles visent les idéaux qui jouent un rôle considérable dans la société et dans le développement de l’enfant. Mais, à notre époque, ce sont de façon prédominante les médias qui s’arrogent le pouvoir d’exercer leur emprise en infiltrant la logique perverse dans notre vie sociale afin de la déstabiliser.
Comment comprendre la perversion sur un plan psychanalytique ? Plusieurs éléments entrent en jeu : les pulsions partielles, à l’origine d’un mode d’expression exigeant, impératif et répétitif, sont le point de départ du comportement pervers. C’est à ce niveau que se déploie la violence aussi bien sur un versant social ou collectif par la transgression d’une loi, d’un interdit ou une exigence morale, que sur un versant individuel car l’agression est infligée à un sujet sans défense. Ces deux versants fonctionnent en complémentarité. L’affect, qui est toujours associé à un idéal et qui se présente sous un double versant positif et négatif, y joue un rôle central. La violence perverse entraine une dissociation de la structure affect/idéal permettant de comprendre la froideur du pervers dont le but est de masquer ses affects et de produire l’affect en négatif chez l’autre par le mécanisme de clivage. L’idéal social ainsi séparé de l’affect est bafoué par le pervers (par exemple l’exhibitionniste s’attaque à la pudeur). Les idéaux sociaux ont originellement aussi une valeur narcissique primaire et vitale pour le développement de l’enfant. Or, chez le pervers, un idéal essentiel a posé un grave problème au cours de sa petite enfance soit en excès, soit en insuffisance. C’est ainsi que le pervers s’en prend aux idéaux et à leurs représentants. A travers ses actes, il vise le Père Idéalisé, pour régler ses comptes avec lui. Dans ce mécanisme, la fidélité qui aurait dû permettre d’affronter le problème posé par l’idéal primaire, fidélité nécessaire à l’enfant pour surmonter les premières blessures affectives, fidélité pour leur survie, manquait cruellement au pervers.
La vengeance est la caractéristique essentielle de la mise en scène du pervers. Vengeance érotisée pour survivre à un traumatisme très précoce et inaccessible ,sous-tendue par l’absence de refoulement du trauma. Le pervers rejoue la séduction originaire à l’envers et à son seul profit. Elle montre ainsi la raison pour laquelle elle s’est retournée contre lui. En effet, l’affect est inversé si un idéal narcissique primaire n’est pas respecté soit par le trop ou pas assez, sous-tendu par la terreur de non existence. La vengeance a une double portée, d’une part dirigée envers la figure mythique, et d’autre part issue du surmoi vengeur. Le passage à l’acte fait intervenir l’affect, le surmoi vengeur et un élément de réalité déclencheur.
Ceci constitue le schéma général de toute perversion, s’y ajoutent cependant quelques particularités spécifiques aux perversions les plus violentes.
L’inceste attaque l’idéal le plus primitif et central, et s’oppose à la loi collective la plus fondatrice. Dans l’inceste, le parent incestueux incarne le phallus tout-puissant qui peut tout se permettre. La séduction psychique normale est remplacée par une séduction réelle, avec pour conséquence une intrusion sexuelle que l’enfant ne peut pas faire sienne. L’enfant est mis à mort en tant que sujet. Le fait que le pervers veut s’approprier « l’origine du monde » fait de l’inceste la perversion par excellence où le courant tendre de la sexualité est perverti, relevant de la sexualité idéale.
Le violeur, au moi tout-puissant, cherche à réduire l’autre à néant pour s’approprier sa puissance vitale et fait surgir son angoisse d’anéantissement chez la victime.
Le pédophile tend à s’approprier les vertus et idéaux narcissiques primaires les plus essentiels. La pédophilie représente un symptôme de notre époque où l’on a tendance à transformer l’enfant en objet de consommation. Ce jeu pervers a un impact profond sur la victime chez lequel il crée une complicité inconsciente.
Pour la prise en charge, il en découle qu’elle doit être à la fois juridique et psychothérapique, tout en tenant compte du contexte actuel, car les perversions sont les symptômes de tendances excessives inscrites dans la société actuelle, comme la pédophilie reflète le culte de l’enfant objet. Le rejet public empêche de s’interroger sur ses propres travers, nuisant ainsi à la société entière.
Ce qui est important dans la thérapie est d’accepter et écouter cette vengeance dans laquelle le pervers est empêtré. Le cadre, le dispositif et le contrat thérapeutique jouent un rôle primordial tout en tenant compte des mécanismes de la perversion et du fait que le pervers cherche à établir une relation narcissique pour pervertir le transfert.
L’acte sexuel pervers doit être considéré comme un symptôme par lequel un sujet inconscient est à l’œuvre et s’adresse à d’autres sujets. Les sexualités pulsionnelle, génitale et idéale sont sous la domination des sexualités inconscientes du ça et du je ; cette dernière est au cœur de la subjectivité.
Au total, par l’acte le pervers exprime ce qu’il ne peut pas dire.
Rénate Eiber (novembre 2022)