Lydia Flem nous fait sentir avec force l'orage émotionnel qui saisit la femme en deuil qui doit vider la maison de ses parents alors que le dernier survivant – en l'occurrence sa mère – vient de mourir. Cette situation qui oblige pour chaque objet à choisir entre garder, offrir, vendre ou jeter ne peut que réveiller les non-dits, la culpabilité et la détresse, surtout lorsque l'histoire qui se dessine en filigrane de cette relecture agie de l'histoire familiale renvoie à la déportation de sa mère âgée de vingt-trois ans à Auschwitz du 11 août 1944 au 29 mai 1945. Vider évoque l'idée de piller une tombe, oblige à affronter l'impudeur de découvrir ce que les parents avaient dissimulé, suscite malaise et honte. On hérite alors qu'on aurait aimé recevoir. "La loi m'offrait en pleine propriété un monde qui était encore le leur". La piété filiale se trouve ainsi confrontée à d'encombrants fantômes, comme à des retrouvailles éperdues. Il faut affronter la culpabilité de disperser les objets qu'avaient rassemblés ses parents, patiemment ou par hasard, l'humiliation de voir que les meubles que l'on veut vendre sont estimés valoir si peu, se séparer un à un des objets nourris de souvenirs jadis partagés, affronter le trouble des vieilles lettres redécouvertes, qu'on ne peut supporter ni de garder, ni de jeter, découvrir des événements peut-être délibérément gardés secrets. Apparaissent les factures correspondant au séjour en maternité de sa mère lors de sa naissance et celle de leur primitive séparation du fait de la tuberculose maternelle, mais aussi le petit mot écrit pour rassurer ses proches dans le convoi n°78 partant de Lyon, transmis furtivement à un membre de La Croix-Rouge et qu'une amie conserva. Renaît la sensation d'impuissance sans bornes de l'enfant devant les blancs du récit et les paroles inachevées – "on ne pourra jamais dire ce que nous avons subi, c'est impossible à raconter" –, les sensations du contact peau contre peau, contre cette mère tendre et parfumée, qui fut aussi un corps tabassé, rasé, tatoué, humilié dont on avit prémédité la disparition. L'expérience sensorielle de la peau laiteuse et du souffle chaud en devenait une proximité corporelle inquiétante, infiltrée de fantasmes violents à la limite de la conscience. Et paradoxalement, perdre les parents devient aussi perdre des identifications paralysantes : "Ils étaient morts. J'allais enfin pouvoir les rencontrer." Extrêmement émouvante dans sa simplicité profonde, à la fois discrète, tendre et crue, Lydia Flem – qui avait publié en 1986, chez Hachette, La vie quotidienne de Freud et de ses partients, et en 1991 L'homme Freud, nous renvoie aux troubles de nos histoires familiales et de nos deuils intimes, en nous forçant pour ainsi dire avec elle, à regarder, à penser et à dire.
Comment j’ai vidé la maison de mes parents