En 1988, Gérard Bayle, membre titulaire formateur de la Société psychanalytique de Paris, introduit la notion de clivage fonctionnel, réaction immédiate de défense contre une attaque de la psyché, défense habituellement transitoire qui isole fonctionnellement la partie atteinte. Le clivage structurel, permanent, est engendré chez les enfants et avec leur participation, par le maintien excessif d’un clivage fonctionnel des parents. En 1996, Gérard Bayle présente au Congrès des psychanalystes de langue française un rapport sur les clivages, qui développe cette distinction et insiste, comme le présent ouvrage, sur la fonction synthétique du moi.
Pas de clivage sans collage. L’auteur souligne l’importance d’une forme de captation narcissique, l’asservissement pervers des processus défensifs d’un sujet par un autre. Du fait que l’enfant est objet pour la mère et que les fantasmes de celle-ci modulent son organisation psychique, la relation objectale est incluse dans l’autoérotisme primaire et dans la continuité narcissique du sujet. Ce qui appartient à un sujet mais ne fut jamais subjectivé peut se glisser dans ses pensées, ses actes, son sentiment d’identité. Certaines précautions excessives de l’entourage sont destinées à protéger la descendance et l’entourage lui-même de deuils non faits, d’horreurs sans nom, de blessures psychiques mal cicatrisées. Cette forme de perversion narcissique entame le moi, et d’abord le soi (sa forme la plus primitive), sous forme de clivages souvent ineffaçables pour peu que l’enfant en investisse le processus. L’hallucination négative, le déni, l’idéalisation et la forclusion déploient alors leurs attaques contre la symbolisation, la subjectivation et la structuration œdipienne. L’ouvrage présente ainsi une perspective d’ensemble de l’économie et de la dynamique des clivages, distinguant entre le fétiche et l’objet prophétique, entre les objets phobiques, les objets fétichiques et les objets transitionnels, mais aussi entre le rejet et le désaveu dans la constitution du déni, ce qui permet à l’auteur de penser l’articulation des défenses entre elles et le leurre de la fonction synthétique du moi.
S’il est ainsi un bon usage du clivage, la déroute des pensées, le mélange de soi, un magma informe d’affects et de figurations incapables de donner lieu à un jeu des représentations peuvent s’ordonner à partir d’un clivage. Les croyances agissent en ce sens, organisant un ordre arbitraire mais rassurant en se clivant de la réalité inquiétante et en créant des fétichisations.
L’ouvrage développe cette thèse en présentant d’abord la fonction synthétique du moi, puis une étude systématique du clivage freudien, qui permet une ressaisie de la métapsychologie du moi. Il en découle une mise en évidence, à côté des clivages défensifs, de ceux qui révèlent un défaut de liaison interne, une faille dans l’unification du moi. L’enfant ne peut alors affronter la traversée de l’Œdipe, il reste collé à ses parents, et ceux-ci ne remettent pas en cause leur narcissisme blessé. Par endoctrinement ou dressage, par exhibition ou par secret, certaines chances de conflictualisation sont écartées au profit du maintien d’un statu quo préœdipien, en un « gel entropique du moi ». L’étude des défenses précède une reprise plus approfondie de l’économie et de la dynamique des clivages, qui introduit au repérage des signes cliniques d’un clivage dans le contre-transfert, puis à la discussion de la notion de clivage potentiel, qui surgirait brusquement, selon l’image freudienne du cristal fêlé. Gérard Bayle ne reprend cette notion que dans la perspective d’une potentialité de révélation des carences jusque là inaperçues dans la fonction synthétique du moi, soit par débordement (clivage fonctionnel) soit par forclusion (clivage structurel). Ces deux formes de clivage sont ensuite étudiées dans leur déploiement, le texte de Freud sur l’Acropole venant illustrer la relation entre le clivage fonctionnel et la subjectivation, tandis que les destins du clivage de deuil font l’objet d’une attention particulière. Les clivages structurels sont définis, étudiés dans leur économie, leur dynamique et leur diversité, avec le risque d’un collage, de la relation adhésive à l’analyste. Le dernier chapitre revient sur les perversions, sur l’inévitable part de dépersonnalisation dans la création sublimatoire, et sur la fonction de la croyance dans la psychose. S’il faut de la rigueur dans la classification des clivages, les intrications entre clivages fonctionnels et clivages structurels sont inévitables. S’ils sont toujours des réponses à la déroute de la fonction synthétique du moi, les clivages ont leur pertinence ; un clivage fonctionnel bien tempéré est un processus de valeur pour la constitution du cadre analytique et de l’écoute de la réalité psychique, permettant de percevoir finement les affects et d’éviter les actings. Au terme de cet ouvrage très élaboré, ouvert et rigoureux, il faut en revenir à l’Acropole et à la douceur qui émerge des deuils.