Les quinze articles scientifiques réunis dans ce recueil reprennent les interventions réalisées par leurs auteurs lors du Colloque éponyme des 17 et 18 octobre 2014. Le clivage y est abordé, d’un côté comme processus de défense auquel à affaire le psychanalyste dans sa clinique, et d’un autre côté, dans ses aspects développementaux, pas forcément pathologiques. C’est Alain Braconnier qui introduit les réflexions autour des « clivages » avec son article : « Comment se représenter l’irreprésentable, concilier l’inconciliable, avouer l’inavouable ? » Il avance l’idée que le clivage est une ressource pour supporter l’insupportable humain. Connaître et reconnaître le clivage doit permettre d’en dégager les enjeux et de s’en dégager « avec tact », pour favoriser les processus de liaison, comme la sublimation.
La première partie de ce recueil traite de « L’espace élargi du clivage ». C’est Bertrand Cramer qui la débute. Dans « Comment résister aux projections parentales ? », il souligne l’aspect transitoire et poreux du clivage alors qu’on a l’habitude de le définir comme une structure figée. Sylvain Missonnier, avec « Déni et négation de grossesse : des plans de clivages pluriels », montre comment certains traumatismes relationnels de la mère se rejouent dans l’expérience de la grossesse et comment ce trauma influence le lien symbolique lui-même en souffrance. Pour finir cette première partie, Catherine Chabert et Laurence Kahn, dans « Il y a clivage et clivage », montrent que le clivage du moi est un « processus courant, banal, au service du plaisir de la vie » et que la création d’un espace transférentiel permet de créer du lien ainsi que de faire advenir des identifications aux objets perdus.
La deuxième partie, « Clivages, dépendances et addictions », présente d’abord un article de Gérard Bayle, qui distingue les clivages fonctionnel, structurel et technique. Le clivage fonctionnel, s’appuyant sur le déni d’un élément traumatique, s’instaure chez tout un chacun à un moment de vécu traumatique et peut devenir pathologique s’il dure trop longtemps. Le clivage structurel est le clivage fonctionnel dont l’enfant hérite de ses parents, une transmission d’un clivage « vide », hors du symbolique, donc empreint de destructivité. Enfin le clivage technique est la mise en place, par un consultant, de clivages entre diverses interventions thérapeutiques. Vient ensuite l’article de Vincent Estellon, « Le clivage amour/sexe : la dialectique nymphomanie/frigidité dans la sexualité addictive. » L’auteur explique que l’addiction sexuelle est la contrepartie de la frigidité d’une personne face à des relations sexuelles faites de tendresse et d’amour. Le dernier article de cette seconde partie est de Patrice Huerre qui, dans « Dépendants du clivage : à la recherche de l’unité perdue », développe l’idée selon laquelle les pathologies narcissiques (que l’on trouve souvent chez les adolescents) cherchent, à partir d’un lien précoce en souffrance (du bébé), soit à soutenir l’espoir de maintenir un soi grandiose à travers l’addiction à l’admiration de l’autre (être le meilleur par exemple), soit à satisfaire des besoins narcissiques prématurément frustrés et maintenus hors du champ de la conscience par tous les substituts qui s’offrent au patient (l’ivresse comme l’alcool, la vitesse, la drogue, le risque, la conquête…).
La troisième partie voit se développer la notion générale de « Clivages pathologiques ». L’entretien avec Geneviève Haag et Bernard Golse aborde les aspects pathologiques et structurants des clivages précoces (1èreannée de vie) : vertical (hémicorps autour de la colonne vertébrale et tube digestif) et horizontal (membres inférieurs/supérieurs), touchant aux identifications corporelles ; clivages qui sont in fine« cognitif et émotionnel. » Clivages que G. Haag préfère appeler « démentellements » car ils précèdent la constitution du moi ; ils peuvent provoquer les angoisses de liquéfaction présentes dans l’autisme. La pathologie autistique est aussi abordée dans le second article, de Pierre Delion, « Clivage, psychopathologie et institution », qui développe la notion de « constellation transférentielle » (Jean Oury). Cette dernière définit tout le personnel de soin qui s’occupe de patients projetant des affects clivants et insoutenables sur ce personnel. Se référant à Racamier, Pierre Delion souligne l’importance, en institution, d’organiser des réunions où l’on parle des patients, afin de faciliter « la parole contre-transférentielle. » Ces réunions sont des formes de traitements des clivages du personnel provoqués par les projections des patients. Les clivages sont ici compris comme des matériaux cliniques. Ces réunions, « soignantes », agissent sur la relation soignant/patients et, en contre coup, soignent aussi les pathologies elles-mêmes clivées et clivantes des patients autistes ou psychotiques.
A la quatrième partie, « Clivage pathologique et fonctionnement limite : de la sauvegarde à la survie », Maurice Corcos ouvre la réflexion avec « Le contre-investissement dans l’anorexie mentale. De la sauvegarde à la survie. » L’anorexie mentale est une psychopathologie du contre-investissement d’un fantasme boulimique. La boulimique est une affamée d’affection, mais terrorisée par le risque de dépendance affective. Alors elle se défend par le clivage corps/psyché, créant un vide en soi pour parexciter l’absence. Le second article d’Alejandro Rojas-Urrego, « Agonies primitives et clivages », expose le fonctionnement du clivage au moi (René Roussillon) agissant dans les pathologies précoces, à la différence du clivage du moi présent dans les névroses. La crainte de l’effondrement et les agonies primitives sont deux concepts fondamentaux pour définir le clivage vécu par les bébés qui ont dû se défendre face à l’expérience d’un « lâchage traumatique. » En séance, c’est la reviviscence, plus que la réminiscence, qui constitue le processus d’appropriation de ces agonies primitives. Enfin René Roussillon clôt cette partie avec « Un processus sans sujet », processus qui caractérise le clivage au moi, qui a à voir avec le « féminin primaire » : quand la rencontre avec la réceptivité de l’environnement maternant fait trauma, un retrait subjectif de la scène s’opère. Alors une blessure narcissique est ouverte, elle est vécue comme une amputation de l’être, une reddition, un anéantissement, elle est douloureuse. C’est une « catastrophe identitaire. » Ainsi, de manière générale, le cours des événements psychiques ne se réduisent plus à un simple passage du « vu » à « l’entendu » traditionnel, il est aussi constitué du « sentir. »
Enfin la cinquième et dernière partie, « Esquisse d’une nouvelle psychologie », débute avec l’article de François Ansermet, « Les clivages biotechnologiques » qui résultent des pratiques en médecine procréative (PMA, GPA, don de sperme…). Ces clivages bouleversent les représentations sociales des liens parents/enfants. Ils font davantage de place aux repères symboliques et imaginaires qu’aux repères biologiques. Dans le second article « Où se situe la pensée ? au sujet du rapport âme-esprit », Alexandrine Schniewind se réfère à Aristote pour définir le settingde la cure où le patient doit cesser de sentir avec son corps pour s’adonner au penser (clivage corps/pensée). Cependant l’auteure souligne que dans la psychanalyse d’enfant, la pensée est intimement liée aux sens. Enfin, le dernier article de ce recueil, celui d’Alain Vanier, « Quelques remarques sur la théorie en psychanalyse », s’inspire de la notion de « division du sujet » développée par Lacan, pour aborder le clivage comme un style de rapport récurant : en psychopathologie (clivage du moi), en situation de cure (clivage entre la parole du patient et l’interprétation qui ferait surgir le sujet face au Réel), et en recherche analytique où les jeunes analystes reprendraient « les points aveugles de leurs prédécesseurs » pour subvertir leur discours et rendre la psychanalyse plus « actuelle »…
Ce recueil regroupe donc une grande diversité de définitions de la notion de clivage, qu’il soit à l’œuvre dans le développement humain, dans les psychopathologies ou en action dans les institutions. Le dénominateur commun de ces quinze articles est l’approche clinique de ces clivages. Une clinique analytique qui défend l’analyse du lien tranféro-contre-transférentiel, comme agissant au cœur de tout processus thérapeutique et de toute prise de conscience des mouvements internes qui habitent tout un chacun. Que ce soit au plus près de l’apparition de la vie, depuis la grossesse jusqu’aux processus précoces, ou dans l’après-coup adolescent, cette clinique cherche toujours, dans la continuité de nos maîtres, à être à l’écoute des patients, quel que soit leur âge.
Nathalie Ferreira, mars 2018