Christian Gérard, psychiatre et psychanalyste, membre titulaire formateur de la SPP, de l’API et de la SEPEA, consacre ici un livre aux pères, à partir de l’hypothèse principale que la place du père a été négligée, et l’est encore, dans les premiers liens de la vie de l’enfant. Dans la plupart des travaux théoriques et des dispositifs cliniques, il est celui qui « triangule », selon la formule consacrée. On le convoque dans le registre symbolique, et il en devient un être distant, parfois absent. Christian Gérard soutient que le père est présent dès les premières relations de l’enfant, mais que nous sommes atteints de surdité et d’aveuglement pour vraiment tenir compte de sa présence et de son importance. C’est ce à quoi il va s’attacher dans ce livre.
Plusieurs chapitres de l’ouvrage sont consacrés à reprendre en détail tous les travaux classiques sur les pères, car l’auteur tient à rester dans le champ de la métapsychologie freudienne, même si le père y est présent de manière paradoxale et même si Freud parle d’une famille traditionnelle, qui n’a plus cours actuellement.
Après cette étude de la place du père dans l’œuvre de Freud, l’auteur aborde les post-freudiens, pour montrer que, là encore, chez Mélanie Klein, Winnicott, Florence Guignard, la présence paternelle est évoquée mais n’a pas eu beaucoup d’impact sur les pratiques.
Christian Gérard évoque la position de Lacan, mais un peu succinctement et on aurait aimé qu’il développe plus l’impact très important sur les cliniciens et les équipes, du « Nom du Père », privilégiant la fonction symbolique au détriment d’un père plus précoce et plus présent.
Christian Gérard explore ce champ de la paternité précoce avec plusieurs questions. Pourquoi le père des premiers liens est-il aussi négligé, voire oublié ? Il nous propose une réponse. « Penser la présence paternelle implique une forme de renoncement à la toute-puissance maternelle ». Or pendant plusieurs décennies, les travaux portaient principalement, si ce n’est exclusivement, sur la relation mère/bébé. Et de quoi sont faites ces relations père/bébé précoces ? « Les liens père-enfant du début de la vie se différencient de ceux de la relation maternelle précoce », c’est à dire que les hommes vont intégrer les identifications féminines et maternelles, ce qui a été développé par Mélanie Klein, puis Florence Guignard. L’auteur traite cet aspect de la question par le recours à la notion de bisexualité, en particulier dans la mythologie.
Pour étayer son propos, Christian Gérard nous propose, en dehors de plusieurs illustrations littéraires, des cas cliniques, aussi bien d’adultes que d’enfants. Dans la plupart, le père des premiers liens apparaît peu directement dans le matériel clinique et c’est l’analyste qui le fait apparaître, via le transfert, par son écoute et ses interprétations. On se demande alors si ce ne serait pas une caractéristique de ce père primaire d’être invisible et caché derrière l’omniprésence maternelle.
Cependant, et c’est ce que Christian Gérard aborde dans les derniers chapitres avec les perspectives qu’ouvrent les nouvelles parentalités, il « paraît indispensable de faire évoluer la théorie psychanalytique avec ses applications cliniques face à ces nouvelles organisations ». Faute de quoi, les familles hésitent à consulter, « craignant un jugement de valeur de la part des thérapeutes parfois déconcertés par l’originalité de ces situations ». Le père des premiers liens est ainsi une figure non moins importante que la mère, mais c’est une figure à débusquer, qui nécessite et sollicite toute notre attention de clinicien, ce à quoi nous aide cet ouvrage.
Simone Korff Sausse