Cette monographie renouvelle heureusement la réflexion des psychanalyste sur la question du caractère, sans la réduire aux seuls repères classiques des analyses freudiennes sur le caractère anal ni aux formes pathologiques des névroses de caractère. Même si la notion de caractère n’est pas un concept spécifiquement psychanalytique, la pensée freudienne et postfreudienne en réinterroge assez radicalement le sens et la portée. L’approche des traits de caractère, en articulation avec la description des types libidinaux, permet une articulation entre processus névrotique et processus de formation du caractère, spécifié notamment par une désexualisation, donc par un équivalent sublimatoire : c’est en tant que « sous-espèce de sublimation » dans les transpositions pulsionnelles que François Villa étudie la place du caractère dans la pensée freudienne. La potentialité défensive du trait de caractère conduit à interroger la répression plutôt que le refoulement. On peut aussi le considérer comme une fixation avec appel au mouvement régressif, processus dans lequel le rôle de l’identification est important. Le fondement répétitif de l’inertie caractérielle renvoie à son ancrage dans les effets (positifs et négatifs) du traumatisme, qui peuvent s’intégrer au moi, ou bien demeurer comme réactions de défense. Jacques Boushira traite du trait de caractère dans son rapport au cadre et au processus analytique.
Le caractère dépasse ainsi la simple somme des traits de caractère et ne peut se réduire aux pathologies du caractère ; tous deux relèvent des devenirs du traumatisme. Pour Jean Bergeret, le caractère est lié à la structure, les traits de caractère à la psychogenèse, tandis que les pathologies du caractère prendraient naissance dans des ensembles réactionnels précoces. La notion diffuse et controversée de la névrose de caractère, qui diffère d’une pathologie précise du caractère et prend appui sur les travaux de Pierre Marty, est étudiée par Alain Fine. Simone Valantin nous propose une étude des travaux de W. Reich et notamment de sa conception de la cuirasse caractérielle, tandis que Liliane Abensour présente deux textes d’Evelyne Kestembreg qu’il est précieux de retrouver ici. Mentionnons enfin une très intéressante étude consacrée à l’adolescence, « Adolescence et formation du caractère », dans laquelle N. Zilkha et F. Ladame interrogent la valeur économique du caractère et ses fonctions, en particulier dans leur lien avec l’accession à l’intimité. Comme toujours dans ces monographies de la RFP, une abondante bibliographie achève de faire du recueil un instrument de travail d’une grande richesse.
Dominique Bourdin
La collection des monographies de psychanalyse propose, sur un thème sujet à débats, un tour d’horizon des différents points de vue sur la question, animé d’un souci didactique. La notion de caractère se prête d’autant mieux à cet exercice qu’elle reste d’un emploi imprécis dans la pratique. Tout au long de l’œuvre de Freud cependant elle revient ancrée aux mêmes questions, celles des limites du normal et du pathologique d’un côté et celles des limites de l’analysable de l’autre. François Villa en retrace le fil depuis l’interprétation des rêves jusqu’aux derniers écrits freudiens. La constitution du caractère est étroitement liée au développement du narcissisme. Tout à la fois armature sur laquelle se greffe la personnalité, et armure défensive contre la pulsionnalité, le caractère organise une défense efficace mais coûteuse en cela qu’elle suppose, de par sa rigidité et sa congruence au moi, une certaine perte de la réalité.
C’est pourquoi pour Jean Bergeret, les pathologies du caractère, variantes des pathologies du narcissisme, relèveraient de « structures à clivage ». Reich d’un côté, Marty de l’autre ont relié le caractère au somatique. Cuirasse musculaire dans un cas, indice de démentalisation dans l’autre, les psychanalystes « rencontrent le caractère comme un obstacle ». Cependant la formation du caractère à l’adolescence est, selon Nathalie Zilkha et François Ladame, essentielle à l’établissement d’un sentiment de continuité psychique et à l’homéostasie interne.
On trouvera à la fin du livre la réédition de deux textes d’Evelyne Kestemberg sur le traitement des névroses de caractère. Celles-ci sont repérables par le thérapeute par la précocité du « transfert de combat » qu’établissent ces patients. Leurs défenses, tournées vers la maîtrise tant du cadre que du processus analytique, exposent le couple analytique à l’immobilisation ou au passage à l’acte.
Martin Joubert