Cerveau. L'Expo neuroludique de la Cité des Sciences et de l'Industrie
Proposé en marge d’une récente exposition sur le cerveau à la Cité des sciences à Paris, C3RV34U est un ouvrage collectif (sous la direction de Stanislas Dehaene professeur au collège de France et commissaire de l’exposition). Les textes, magnifiquement illustrés, exposent des recherches actuelles en neurosciences. Celles-ci ont parfois pour le psychanalyste des airs inattendus de familiarité.
Les techniques modernes d'exploration, qui reposent toutes sur l’activité électrique ou chimique des neurones, permettent des études très précises, parfois au neurone près. Chaque type de neurone possède un profil particulier de décharge qui permet de l’identifier au sein d’un ensemble plus vaste. La force de la transmission entre neurones peut évoluer au cours du temps. Cette plasticité synaptique est un des supports possibles de l’apprentissage et de la mémoire. Selon le neurotransmetteur en cause (GABA inhibiteur ou glutamate activateur) les neurones constituent autant de « briques élémentaires » d’un réseau de connections dont l’agencement est, principalement, ce qui permet de reconnaitre et de traiter l’information. Les neurones présentent une extrême régionalisation de leurs fonctions et le système nerveux est ainsi formé de nombreux réseaux neuronaux enchâssés les uns dans les autres.
Le cerveau commence à se différencier dès la troisième semaine de gestation. Au moment de la fermeture du tube neural les cellules dorsales vont migrer dans l’ensemble des tissus, formant le futur système nerveux périphérique. A partir de la transcription génétique mais aussi de facteurs hormonaux morphogènes, les cellules primitives vont migrer et se différencier, tandis que le tube neural s’organise selon deux axes orthogonaux et une symétrie bilatérale.
Les cellules progénitrices se multiplient à proximité des ventricules cérébraux, épaississant le neuroépithélium en direction de la périphérie. Dans un deuxième temps les divisions cessent presque totalement (sauf au niveau de l’hippocampe, une structure liée à la mémoire) tandis que les neurones se différencient et se spécialisent.
Puis ils migrent vers la périphérie (cause de certaines maladies neurologiques), se disposant en six couches anatomiques. Arrivés à destination, les neurones développent un réseau de connections dendritiques très touffu, labile, et dont la plasticité est un support possible de l’apprentissage et de la mémoire. Le développement de l’axone se fait, lui, sur des distances qui peuvent être considérables. Il est guidé vers sa cellule cible par des signaux moléculaires rencontrés en chemin. La myélinisation (qui permet la rapidité de l’information) se développe ensuite en fonction de l’activité neuronique. Un apprentissage (piano lecture) va l’accentuer de manière spécifique.
Un aspect qui a beaucoup intéressé certains psychanalystes est que la neurogénèse se fait de manière très excessive (plus 25 à 50%), donnant lieu à une lutte entre neurones et à une apoptose (mort neuronale) des neurones en excès. Cet élagage progressif, qui s’observe aussi au niveau des ramifications (axones, dendrites), permet l’adaptation du système nerveux à son environnement. Les connexions les plus efficaces, celles qui visent à plus de cohérence, seront seules conservées.
Pour Stanislas Dehaene, le cerveau est un statisticien qui élabore un modèle statistique du monde, dont il reconstruit l'interprétation la plus probable en combinant les informations sensorielles présentes et passées. Avec cette théorie, il rejoint les travaux des psychanalystes autour de l'acte et du pari et redonne une actualité surprenante à L'esquisse. Face à un monde d'incertitudes, il faut prendre des décisions en minimisant les risques.
L'architecture particulière du cerveau lui permet d'ailleurs de réaliser, à grande vitesse et dès le plus jeune âge, le calcul d'algorithmes. L'ambiguïtés des informations leur surcharge aussi, l'amène à affiner ses modèles en les combinant à ceux du passé. Ainsi s'expliquent nombre d'illusions sensorielles.
Si le cerveau calcule la distribution de probabilités de toutes les interprétations du monde, il n'en présente à la représentation que celle qu'il considère la plus probable. Il ne superpose jamais deux explications. En cas de doute, il bascule de l'une à l'autre en fonction de leurs probabilités respectives. Il s'agit de prédire le futur, puis d'en vérifier la validité. De même, au niveau des circuits dits de la récompense, la sécrétion de dopamine est-elle plus marquée quand la satisfaction est inattendue. En revanche lorsqu’il y a déception, que la satisfaction attendue n’arrive pas, les neurones dopaminergiques deviennent brutalement silencieux, ce qui signale l’erreur de prédiction (en plus de la déception et du dépit). Les neurones dopaminergiques ne se contentent pas de signaler la satisfaction, ils prennent en compte les attentes ; ce qui provoque des modifications adaptatives du réseau associatif neuronal.
La capacité d’anticipation du cerveau par le calcul probabiliste lui permet de se guider vers les informations les plus pertinentes. Il soustrait ainsi ses prédictions des données sensorielles, sans avoir à représenter. Seule compte l'erreur de prédiction qui éveille l'attention et enclenche un processus d'analyse plus approfondie. Un mot inattendu va générer une onde spécifique dont l'amplitude dépendra de l'intensité de l'effet de surprise !
Le bébé a d'emblée des capacités abstraites pour les nombres et les probabilités ce qui lui permet d'inférer les résultats d'une observation ou d'en être surpris. Il peut en déduire les croyances des personnes qui l'entourent ou la nature humaine (intentionnelle) d'une action dont il n'a vu que le résultat. Il distingue du hasard, le caractère intentionnel d'une action.
Ce traitement statistique est aussi appliqué au langage après segmentation du flux continu sonore en syllabes dont il repère les fréquences d'associations. Puis l'attribution du sens dépend de la probabilité de son association qui est ensuite généralisée à des images nouvelles. L'apprentissage est en général très rapide et la réalisation ou non du modèle statistique permet à l'enfant, en vérifiant, d'apprendre à apprendre. Chaque apprentissage modifiant celui qui apprend.
Dès les débuts, le bébé humain est capable de reconnaitre visuellement un objet tenu en main, d’imiter, de rire en relation ; il semble programmé pour s’adapter et les variations individuelles des motifs cérébraux témoignent de la plasticité individuelle du cerveau. Le cerveau a d’emblée la capacité à tirer profit de son environnement. Les fonctions sensori-motrices, en particulier sont rapidement matures contrairement aux zones associatives (frontales pariétales) de réflexion et d’apprentissage. Très tôt il discrimine les langues et associe les mouvements du visage aux sons. Le babillage (vers six mois) adopte les structures sonores de la langue maternelle. Dès 8 mois les enfants peuvent extraire des mots du flux langagier et, vers deux ans, ils anticipent la fin d’une phrase à partir de ses premiers mots.
Puis vient l’écriture laquelle utilise les mêmes circuits neuronaux quelle que soit la langue. Le système visuel sait d’emblée extraire certaines formes élémentaires à potentialités symboliques du continu de la perception. De même pour la perception des contours ou bien la déduction de parties cachées. La liaison précoce entre forme visuelle et son permet la transcription abstraite. Une aire très spécialisée du cerveau (occipito-temporale gauche) est dédiée à la reconnaissance visuelle des mots. Cette spécialisation est un détournement des capacités originelles à la reconnaissance visuelle des visages, laquelle se reporte au cours de l’apprentissage sur des structures voisines, introduisant une asymétrie dans l’organisation cérébrale. La lecture entraine enfin un affinement des capacités visuelles elles mêmes.
Avant l'apprentissage de la lecture, le cerveau confond les images en miroir (˂/˃ ou idou/oubi) que les illettrés perçoivent d'ailleurs comme identiques. De même n’arrivent-ils pas à décomposer un mot en syllabes sonores. D’où aussi certaines difficultés de lecture (confusions b/d par exemple). L’apprentissage de l’alphabet bouleverse la conscience phonologique. L’anatomie cérébrale elle-même s’en trouve modifiée.
Dans le même esprit, le bébé possède très tôt un sens des nombres qui lui permet de raisonner sur des quantités numériques. Il peut détecter les correspondances numériques dans des sensorialités différentes. Mais les quantités reconnues restent approximatives, ce que traduit le vocabulaire des langues originaires, mais n’empêche pas des calculs sur des nombres élevés. La signification des nombres est comprise plus tard par l’enfant. Vers trois ans ils sont fascinés par le comptage, sans que l’on comprenne encore le passage du dénombrement approximatif aux nombres exacts.
La perception d’une image déclenche une cascade d’activations neuronales liées à l’organisation « multicouche » des perceptions, ce qui les rend très précises et rapides, y compris en recrutant des traces mnémoniques. Le cerveau peut détecter certaines informations élémentaires (extrémités d’une ligne, les contours, l’orientation), tandis que d’autres neurones vont réagir spécifiquement à des formes complexes comme certains visages. Il y a cinq étapes successives de traitement de l’information visuelle et le parcours de l’information dans ce réseau est ce qui va permettre son engramme mnésique, en analysant l’ordre dans lequel les neurones déchargent. Ceci permet la reconnaissance à partir d’une fraction de l’image, accroissant considérablement la rapidité de son traitement. De plus, deux neurones qui auront été excités ensemble seront ensuite liés par cette contigüité (relation sur laquelle Freud insistait déjà par rapport à la mémoire et au fonctionnement de l’inconscient).
Comment un percept devient il conscient ? Ou plus exactement comment s’en forme-t-on une représentation ?
Sur le plan neurophysiologique, un stimulus visuel déclenche d’abord une vague d’activation des zones cérébrales postérieure qui se dirige ensuite vers les régions antérieures, elle active de nombreux réseaux de la représentation, y compris au niveau sémantique ou pré-moteur. Ces représentations non conscientes sont évanescentes (opposition inscription/conscience de Freud !) et opèrent en parallèle. Dans une deuxième étape les régions activées vont fonctionner de manière plus coordonnée, permettant la formation d’une représentation stable. Le passage à la conscience se fait en tout ou rien sur un mode « catastrophique » : une transition brutale et non linéaire.
Les aires corticales médianes permettent les processus introspectifs et en l’absence de stimulations sensorielles, ces régions activent un système de « projection mentale » qui permet de s’échapper (sic) de l’immédiat, de se projeter dans le temps, dans l’espace ou dans les suppositions.
Avec l’accès à la conscience, l’activité cérébrale recherche la cohérence (là encore idée chère au Freud de l’interprétation des rêves lorsqu’il réfléchit aux conditions de la figurabilité) qui se traduit à l’EEG par la synchronisation des tracés électriques. Dans la crise d’épilepsie, la cohérence est maximale, et elle s’impose comme excès au fonctionnement cérébral, lequel perd, du coup, en complexité ; un processus qui aboutit à la perte de conscience.
Lorsqu'il n'est pas sollicité par une tâche spécifique le cerveau n'est pas pour autant au repos. Il adopte un mode particulier de fonctionnement appelé "mode par défaut". A travers le "bavardage" des aires surtout frontales et pariétales, le cerveau organise les souvenirs et se prépare aux actions nouvelles ; ces mêmes aires sont préférentiellement atteintes dans la maladie d'Alzheimer. Le cerveau revient spontanément en mode par défaut (d'où son nom) et son activité fluctue lorsque notre esprit vagabonde. Il compte pour 80% de l'énergie utilisée par le cerveau (où l'on retrouve la question de l'énergétique psychique tellement centrale pour Freud) et la réalisation d'une tâche spécifique n'impacte pas de plus de 5% ce fonctionnement basal permanent. Ce mode basal, qui privilégie souvenirs, émotions, images mentales et conscience de soi en relation, s'efface transitoirement au profit de l'attention et de l'interaction, lorsque le cerveau se concentre sur une nouvelle tâche. Apparaissent ainsi deux régimes opposés du fonctionnement cérébral.
Entre l'excitation de l'organe sensoriel et la perception consciente, l'information et l'excitation neuronale va se réduire dans un rapport de 1 milliard à 10 bits d'information. Le cerveau atteint cette réduction drastique de l'excitation, d'une part par des limitations anatomiques (équivalentes à des ruptures de charge), mais aussi par la diffraction dans tout le réseau associatif neuronal lié à cette perception, laquelle absorbe une grande quantité de l'énergie initiale. Il y a là un modèle qui résonne précisément avec celui du pare excitation en psychanalyse ou bien, comme dans l'autisme, avec l'effet de la disjonction entre les perceptions sensorielles et leur réseau d'associativité.
Le cerveau humain est organisé dès le départ pour percevoir et utiliser les stimulis émotionnels. Déterminisme de survie d’espèce. La vue d’un visage, le mouvement et les postures des autres, sont spécifiquement repérés comme vecteurs de messages émotionnels. Diverses structures anatomiques y sont impliquées et, au niveau cellulaire, un type de neurone à long axone dit « neurones de Von Economo » en serait le support. Ils se différencient trois mois après la naissance et sont spécifiques de l’espèce. Mais c’est surtout par l’effet d’une hormone, l’ocytocine, que les structures cérébrales réagissent à ces stimulis. Elle augmente et focalise sur les yeux la perception des visages, elle augmente la sensibilité aux odeurs. Elle diminue les signaux de peur et d’inhibition, facilitant les interactions sociales.
Chez des enfants autistes l’apport d’ocytocine avant certains tests interactifs améliore la prise en compte du comportement des autres et leur permet de les dévisager plus longtemps. Des essais thérapeutiques n’ont, cependant, pas été concluants.
Martin Joubert.