Ce livre rassemble les huit séminaires de Bion enregistrés entre 1976 et 1979 et retrouvés dans les archives de la Tavistock. Ils font partie de ces derniers travaux qui, dans la période qui va de 1968 à sa mort en novembre 1979, comprennent des récits autobiographiques, des séminaires et la trilogie A memoir of te Future. Les thèmes et la tonalité des séminaires prononcés à la Tavistock consonnent avec les idées de cette période, où Bion a pris ses distances avec les kleiniens, et exprime la fulgurance de ses intuitions dans des dialogues à la fois déroutants et rigoureux, invitant à une méfiance constante envers les systématisations et les certitudes. Il s’agit d’explorer l’inconnu.
Une des affirmations les plus percutantes de ces séminaires est une interrogation critique sévère sur la pratique de la psychanalyse : « Je pense qu’il est rare de rencontrer un analyste qui croie à la fois en la douleur psychique et en la possibilité de cure au sens d’un soulagement authentique » (p. 101).
La préface à l’édition française, d’Angela et José Luis Goyena, aide à situer les enjeux de ces séminaires, en montrant leur place dans l’œuvre et leur portée théorique. Francesca Bion rappelle le contexte de ces visites à Londres, où Wilfred Bion fut invité à donner des séminaires à la Clinique Tavistock – quatorze au total dont ne restent que quelques enregistrements parfois défectueux. En annexe est donné le texte de Charles Péguy consacré à la devise républicaine auquel Bion se réfère ainsi qu’un entretien d’avril 1976 à Los Angeles, avec Anthony G. Banet Junior, qui revient sur l ’importance des expériences de guerre de Bion, sa vie à l’uiversité à Oxford, ilôt merveilleux qui suscite des réflexions sur les tendances à l’idéalisation et à l’oubli du tragique de la vie, ainsi que sur le langage, les difficultés de l’intercompréhension, le travail avec les groupes et la fonction de la théorie.
La radicalité des constats et des questionnements coexiste avec un espoir ténu, mais insistant, que les choses puissent avancer. Faire une analyse est une expérience traumatique. Si la communication par les mots génère les malentendus, reste approximative et pauvre, il est bien d’autres modes d’expression et de transmission de ce qui est essentiel, comme la musique ou l’image et il importe de proposer au patient de l’entendre dans sa langue, dans les formes d’expression qui ont pour lui sens et consistance. L’humanité ne fait encore que balbutier, et l’analyse n’existe que si elle demeure inventive, et sort des coquilles vides de ce qui est déjà pensé pour entendre ce qui n’a pas encore été exploré, ce qui est indicible ou particulier à ce patient-là. Bion n’enseigne pas un contenu, mais il éveille l’oreille.