Cet ouvrage collectif très dense rend hommage à Benno Rosenberg (1928-2003). En premier lieu son épouse témoigne de la façon rigoureuse de son travail qu’il appliquait sa vie durant. Ensuite chaque auteur traite un aspect particulier du concept de masochisme primaire intricateur des pulsions de vie et de mort.
Benno Rosenberg est de formation philosophique. Durant ses études il a lu Freud tombant littéralement amoureux de la pensée de celui-ci, selon les dires de sa femme. Son livre sur le masochisme commente en détail la pensée de Freud et il la complète avec la sienne où chaque mot a son importance et rien n’est superflu. Dans ses travaux sur le masochisme, Benno Rosenberg se base sur la seconde topique et la seconde théorie des pulsions opposant pulsion de vie et pulsion de mort. Le masochisme n’est pas que négatif mais a une valence positive en fondant la vie psychique de par l’intrication de ces deux pulsions opposées ; intrication réalisée par le masochisme érogène primaire.
- Chauvet traite le lien entre principe de plaisir et principe de réalité par rapport au masochisme et constate que le paradoxe du masochisme est le point de départ d’une nouvelle théorie du principe de plaisir-déplaisir assurant l’équilibre pulsionnel. Le masochisme érogène primaire est défini par Freud comme le temps de l’investissement de l’attente où se mêlent plaisir et déplaisir. C’est le masochisme qui transforme le principe de plaisir-déplaisir en principe de réalité et favorise une créativité primaire. Le renoncement au plaisir avec l’objet externe ouvre aux représentations et amorce un premier travail de deuil de l’objet externe conditionnant la formation de l’objet interne. Le masochisme y est fondamental de par la création d’un plaisir autogénéré, indépendant de l’objet externe.
Les deux pulsions antagonistes doivent se tempérer réciproquement pour assurer la vie par leur alliage. Benno Rosenberg définit la source du masochisme érogène primaire dans un reste d’excitation pulsionnelle retenue à l’intérieur et non déchargée. Le masochisme inachevé se traduit cliniquement par la valorisation de l’activité.
- Aisenstein nous révèle la raison pour laquelle Benno Rosenberg s’est intéressé au masochisme. Le masochisme est gardien de la vie. Le défaut de masochisme érogène primaire intricateur des pulsions entraine une recherche de la souffrance, un défaut de construction d’un noyau masochique du moi garant de la survie et de la constitution du moi. Benno Rosenberg conçoit le masochisme comme une défense essentielle contre la pulsion de mort. Lorsque Freud introduit cette dernière dans sa seconde théorie des pulsions il redéfinit le masochisme. De ce fait le plaisir est toujours plaisir/déplaisir. Mais le masochisme fait plus : il fournit aussi un cadre à l’intérieur duquel cette opposition pulsionnelle est pensable. Le narcissisme primaire investit et crée le moi ; puis le masochisme lie la pulsion de mort qui attaque le moi.
- Chambrier-Slama traite les particularités du travail de mélancolie différent du travail de deuil par l’investissement narcissique de l’objet. L’issu est la régression narcissique de la libido. La haine du mélancolique, reste de celle impliquée dans la constitution de l’objet primaire, s’exprime lors de l’accès de la maladie. Le travail de mélancolie passe par quatre étapes dans le but de surmonter la désintrication pulsionnelle extrême. Ce travail réussit s’il y a transformation de l’auto-sadisme en masochisme permettant la retrouvaille avec l’objet. Pour Benno Rosenberg l’angoisse face à un danger, produite par le moi, a des sources pulsionnelles et le moi utilise de la libido pour faire face au danger signalé par l’angoisse ; le danger étant la menace de la pulsion de mort pour l’appareil psychique.
- Ribas se centre sur l’angoisse et la naissance du moi. En effet, le moi est le premier objet de l’opposition pulsionnelle ce qui a comme conséquence que le moi est le lieu de la production de l’angoisse. Le conflit pulsionnel génère l’angoisse signal qui est une menace de préclivage du moi, défense primordiale du moi.
- Frejaville aborde la naissance de l’objet interne qui est l’objet de la négation et prolonge la notion du clivage primaire séparant plaisir et déplaisir. Ce clivage primaire permet la projection primaire à l’origine de cette séparation. L’objet del’hallucination de la satisfaction idéale doit être confronté à l’objet de la réalité. Cette rencontre n’est possible que par l’intrication pulsionnelle.
- Gibeault étudie le concept de la projection primaire qui est le déplacement vers les objets externes permettant de sauvegarder l’appareil psychique et constituer l’objet interne. Benno Rosenberg distingue deux formes de la projection : l’une comme mécanisme de défense et l’autre comme source d’identification. La projection normale est constitutive du psychisme et la projection pathologique est un mécanisme de défense en lien avec la négation.
- Roux approfondit l’aspect du préclivage du moi à travers l’œuvre de Perec. Ce préclivage se base sur l’angoisse qui signale le danger et incite le moi au travail de synthèse.
- Smadja nous montre comment Benno Rosenberg voit l’œuvre de Pierre Marty dans la compréhension des processus psychosomatiques à partir de la dernière théorie des pulsions de Freud avec le rôle central du moi. La continuité somato-psychique résulte de l’intrication pulsionnelle primaire, la somatisation, celle de la dépulsionnalisation par défaillance du noyau masochique primaire du moi.
Ce livre se termine avec deux textes de Benno Rosenberg où il montre d’une part que toute maladie psychique ou psychosomatique a son origine dans l’échec du masochisme à intriquer la pulsion de mort et d’autre part que le masochisme affaibli a un rôle dans les désorganisations progressives des fonctions somatiques.
Au total, cet ouvrage passionnant permet une excellente introduction à la pensée de Benno Rosenberg et sa compréhension.
Rénate Eiber (novembre 2020)