La clinique, particulièrement celle qui se trouve aux rives de la mort, a amené Michel de M’Uzan à élaborer des hypothèses révolutionnaires autour de la “ problématique identitaire ”, à savoir, celle de l’émergence et celle du développement de l’identité d’un sujet. Ce thème constitue l’axe central de l’ensemble des textes fort heureusement réunis dans ce recueil.
Le soi-même élémentaire originel doit se différencier d’avec lui-même à partir d’un “ être primordial ” qui est assimilable à un lieu traversé par d’énormes quantités d’énergies déferlantes. Grâce à la création d’un double, s’exonde, sous l’action d’un “ clivage primordial ” (mécanisme physiologique), un soi-même archaïque, un “ jumeau paraphrénique ”, qui est un sujet transitionnel, un être psychique dont les traces perdurent tout au long de l’histoire de l’individu. Donc, “ l’identitaire procède d’un auto-engendrement. ” Cet être va s’engager dans un processus d’individuation, selon un “ programme de création, de développement et de préservation, d’essence génétique ” (filière identitaire ou auto-conservatrice) ; il “assure une ‘assise fonctionnelle‘ aux pulsions libidinales ”, à l’assomption du plaisir, à la fantasmatisation et à la capacité de penser (filière identitaire libidinale). L’opposition besoin/plaisir se substitue à la classique opposition autoconservation /sexualité.
De multiples conséquences théoriques et d’autres plus cliniques, notamment certaines relatives au fonctionnement mental de l’analyste en séance, résultent de ces concepts métapsychologiques.
L’authenticité du sujet est à découvrir dans un des soubassements “ psychotiques ” de l’esprit. Au “ lieu paraphrénique ”, lorsque l’homme se rapproche de son double, il invente un langage, l’“idiome identitaire”, ce dont témoigne la poésie extrême d’Antonin Artaud. La croyance étrange et paradoxale en l’immortalité est le fruit d’un clivage ; le “ moi du Moi ” assume la charge d’endosser la reconnaissance du caractère rigoureusement mortel de ce qui vit, l’inconscient (systémique) ne cesse de dénier cette certitude.
La “ maladie post-analytique ” (MPA) est une entité qui procède de la maladie transférentielle dont il existe, de façon schématique, deux types. Le statut identitaire du sujet est lié aux modalités de la fin de la cure, rupture phénoménologique (au prix de la constitution d’une figure dont les contours sont définis, ramassée au centre du “ Spectre d’identité ”), ou bien la fin de l’analyse passe par une transition et l’instabilité identitaire tend à se pérenniser ; ce type de fin de cure préserve la liberté d’expression de mécanismes archaïques. “ Fonctionnement paradoxal ”, capacité à l’identification primaire, moments de dépersonnalisation, flottement des frontières (qui peuvent amener à l’irruption d’une sorte de “ magma fertile ”, de “ potée psychologique ”, bref de l’“informe ”, à moins que ceux-ci n’en procèdent) sont autant de situations qui correspondent à des modifications du fonctionnement mental à la source de la créativité.
“ La séance analytique, une zone érogène ? ” La formule peut surprendre. Lorsque ’interaction de deux inconscients, celui de l’analyste chez lequel a pu se mettre en route une activité psychique originale et celui de l’analysant, permet que se constitue une “ chimère psychologique ”, s’ajoute alors une troisième entité, la séance qui acquiert un statut nouveau, comparable à celui d’un être vivant doté d’une identité sexuelle. Du fait d’“interprétations – séductions ”, la séance acquiert une qualité d’érogénéité. C’est un moment fondateur qui renvoie à celui de la “ séduction primordiale ”, celui des soins maternels et du dégagement des zones érogènes. Un excès de quantité, des “ aberrations économiques ” au-delà d’un certain seuil conduit l’énergie qu’il s’agisse de l’énergie libidinale ou de l’énergie actuelle de l’autoconservation à se déqualifier, à se dégrader, anéantissant les “ fonctions économiques du clivage pour en faire un objet diabolique”. “ Plane alors l’ombre du principe d’inertie agent de stase ou de décharge totale ”, avec le risque corrélatif éventuel de décompensation psychosomatique ou d’acting.
Finalement, l’auteur propose une vue d’ensemble sur le développement de la personne, physique et psychique (à partir de deux référents, la mentalisation et l’autoconservation), avec ses possibles achoppements, ce qui ouvre sur une nosographie, nouvelle, souple et évolutive.
C’est avec une remarquable logique de pensée et une très grande clarté que Michel de M’Uzan expose l’ensemble des concepts et des notions théoriques qu’il a conçus avec une exceptionnelle créativité, à partir d’expériences cliniques très riches auxquelles il fait référence au fur et à mesure du développement de sa pensée.