Dans la dernière partie de son enseignement, entre 1974 et 1978, LACAN a tenté de formaliser la psychanalyse à travers le maniement de la logique des nœuds borroméens. La nouveauté du domaine, son étrangeté, ont souvent fait considérer cette partie de son œuvre comme une sorte de symptôme précurseur de la maladie démentielle dont il décèdera en 1981.
Nonobstant cette déplorable réputation des élucubrations borroméennes de LACAN, Michel BOUSSEYROUX s’emploie à nous les rendre non seulement compréhensibles mais aussi à entrevoir des perspectives inattendues sur la clinique. C’est en particulier dans le champ des psychoses que ces formulations permettent de distinguer les enjeux réciproques des délires paranoïaques ou schizophréniques.
Le recours aux théories des nouages borroméens est progressivement utilisé par Lacan en parallèle avec ses développements à partir de la topologie. Ainsi, si dans les premiers temps, le nouage borroméen à trois éléments permet de rendre compte de l’articulation entre les trois catégories du réel de l’imaginaire et du symbolique, il utilise dans le même temps les propriétés de la surface topologique de la « bande de Möbius » pour penser la situation du sujet dans son rapport à l’inconscient et au langage autrement que par le truchement du moi de la première topique.
L’intérêt des nouages borroméens, tient à ce que lorsque le système à trois éléments n’a pas pu s’articuler de manière borroméenne (c’est à dire noués de façons qu’on ne puisse les séparer sans couper l’un des brins), alors le ficelage par un quatrième nœud, celui du symptôme, assurera la cohésion de la structure. Ce renversement dans la compréhension du symptôme par rapport à l’intuition première (celle d’un défaut de la structure à corriger), et qui le fait apparaître comme nécessité par la structure psychique, inscrit LACAN dans la continuité de FREUD.
Mais le symptôme ne suffit pas toujours à éviter la désorganisation et le système peut encore gagner en complexité jusqu’à un sixième nœud, c’est ce que montre Michel BOUSSEYROUX à partir de l’exemple de l’homme aux loups. L’identification progressive de celui-ci à cette identité d’emprunt, qui lui faisait, sur le tard, se présenter sous le nom de « Wolfman », véritable identité de substitution, représente, selon l’auteur, la fonction du fantasme d’une « nomination du réel » telle qu’elle s’opère avec l’intervention du sixième nœud borroméen.
Les développements dans l’utilisation des nœuds borroméens, se poursuivent en articulation avec la topologie avec l’utilisation de la « surface de Klein » (abusivement appelée « bouteille » du fait d’une homonymie de la traduction). Avec cette surface, qui s’abouche à elle même dans une continuité entre l’extérieur et l’intérieur, LACAN montre la place centrale de la fonction symbolique de Nom du Père dans la structuration du psychisme à travers deux exemples. Il s’agit des formules conjuratoires et identitaires de l’homme aux rats : « Glejisamen » et du « cas Philippe » de Serge LECLAIRE : « Poord’Jeli ». Le nom propre, décomposé et recomposé vient suturer la surface sans bords où se déploie le sujet, en lui procurant un point origine où puisse s’ancrer un fantasme d’auto engendrement. (Le « cas Philippe » est une transposition de l’analyse de Serge Leclaire lui même avec Lacan, Leclaire, dont le nom d’emprunt venait recouvrir son patronyme caché, d’origine juive et effacé par son père au retour des camps).
Dans la suite du livre cependant, on ne peut que rester sceptique dans l’utilisation ultérieure de ces nouages par les institutions lacaniennes pour formaliser « la passe », ce moment où l’analyste est reçu comme tel par ses pairs. Car si les surfaces topologiques peuvent permettre de penser là un paradoxe de l’origine, l’application concrète qui en est montrée par BOUSSEYROUX laisse un peu rêveur.
Le livre s’achève sur une longue méditation à partir de l’œuvre de Paul CELAN. Quelle poésie est-elle encore possible après Auschwitz, expérience du vrai trou, se demande-t-il ?