Préfacé par André Green, cet ouvrage collectif (28 collaborateurs) présente des articles nés des communications et ateliers exposés à Besançon les 7 et 8 novembre 2003, lors du colloque international « La voix dans tous ses états ».
« La voix nous touche, dès qu’elle exprime la vie, l’autre, la rencontre » souligne M.-F. Castarède, évoquant la voix de la mère perdue. La voix engage la personnalité entière ; elle est au fondement de l’expérience subjective, dont elle manifeste particulièrement la processualité.
Le fœtus entend la prosodie portée par les voyelles à partir de quatre mois et demi de grossesse, et, dès la naissance, il discrimine sa langue maternelle et reconnaît spécifiquement la voix de sa mère. L’enveloppe sonore du soi (Anzieu) nous fait naître à nous-mêmes et nous accompagne ; la voix concerne « l’affect d’existence » (A. Green), fondateur ; elle continue à nous émouvoir tout au long de notre vie et notre propre voix demeure une métaphore de notre identité profonde ; elle est notre « signature sonore » (Gabrielle Konopczynski). Ses difficultés et ses aléas peuvent aussi contenir et manifester des mécanismes de défense et des conflits psychiques décisifs. Voix et relations intersubjectives ouvrent sur deux domaines qui entretiennent avec l’usage ordinaire de la voix un écart manifeste : l’autisme et l’art.
Une première partie est ainsi consacrée à évoquer « La voix dans l’art ». L’ambivalence de la voix s’y manifeste en un conflit latent entre le logos et l’émotion, dont R. Abirached suit les grandes étapes théâtrales. C’est à la « voix-poème » comme « intime extérieur » que s’intéresse le grand linguiste Henri Meschonnic. La voix est à la fois du corps et du langage ; elle « est du corps qui sort du corps, qui passe d’un corps à un autre corps, à d’autres corps, avec une charge d’affect ». Non seulement il existe un érotisme de la voix, mais elle oblige à repenser le rapport entre l’affect et le concept. Viennent ensuite des études plus spécifiques sur la prosodie du chant, sur Mallarmé, Boulez, ou encore Lucie de Lammermoor, expression de la voix de la folie à l’opéra.
Ce sont ensuite les relations subjectives qui sont mises au centre de la réflexion : une étude de l’aphonie et des troubles de la voix chez les enseignants, une interrogation sur l’unité de l’émotion et de la cognition dans la prosodie affective, l’éveil de la sociabilité et de l’expressivité liées à la musicalité de la voix, les « vocalises de la passion » dans l’opéra. Qu’il s’agisse des précurseurs corporels et comportementaux du langage verbal (B. Golse), de la clinique orthophonique chez le jeune enfant ou de la prise en compte de la voix dans le travail psychanalytique, le caractère vital pour l’humanisation de l’interaction des voix est mis en évidence. Ainsi peut-on voir le passage de la « chanson des interactions » à l’émergence des compétences langagières, mais aussi explorer les rapports entre voix et paternité (J. Abécassis).
Peuvent alors se déployer avec rigueur et technicité des recherches et des études cliniques sur les interactions sonores entre les bébés devenus autistes et leurs parents. Les enregistrements de voix effectués à partir de films familiaux montrent comment les modulations en « mamanais » tendent à manquer ou à disparaître dans les interactions avec les enfants autistes ; Geneviève Haag et Anne Denis centrent le problème sur l’altérité. L’expérience signifiante du sujet est indissolublement liée à sa base sensorielle, elle-même en relation avec l’expérience de la reconnaissance (de soi par l’autre, de soi par soi et de ce qui n’est pas soi).
Souvent captivant, parfois déroutant à cause de l’hétérogénéité des méthodes et des questionnements, cet ouvrage remplit parfaitement son objectif : convaincre le lecteur du caractère fondamental et fondateur de la voix, ouvrir notre intérêt sur la diversité et la richesse des études qui lui sont consacrées, relier la réflexion esthétique aux études expérimentales et cliniques les plus pointues. Cette pluralité de voix savantes qui s’efforcent de penser la voix, en une étonnante polyphonie, produit un effet de déplacement, une mise en mouvement conjointe de l’affect et de la pensée.