André Green tel qu’en lui-même… Dans cet ensemble d’entretiens qui évoquent aussi bien sa jeunesse et sa formation ou les œuvres d’art de son bureau que son jugement sur l’attitude des neurobiologistes ou l’état de la psychiatrie actuelle, André Green rappelle aussi avec force, exemples cliniques à l’appui, ses principales thèses sur les pathologies non névrotiques et sur le travail du psychanalyste. Maurice Corcos mène le dialogue avec son expérience psychiatrique et une intelligence aiguë, volontiers provocatrice, qui permet à son interlocuteur de donner le meilleur de lui-même, dans des textes toujours à la fois vivants, spontanés et rigoureux ; la construction et le rythme de l’ouvrage et des échanges font penser à de l’improvisation théâtrale. Maurice Corcos précise dans l’avant-propos que s’il croise ainsi la biographie de ce maître – qui se dit sans disciples – avec son œuvre, c’est que cette dernière « constitue un véritable éloge de la transmission ». Ne se dérobant jamais à la disputatio, dans des controverses vives et serrées, mais d’une générosité sans égale pour saluer le travail et la réfexion des autres comme pour faire partager la sienne, André Green et son interlocuteur nous invitent au plaisir de penser avec eux.
Attaché à la cause de la psychiatrie et de la psychanalyse, André Green sait que beaucoup d’autres prennent appui sur son œuvre, mais il ne veut pas faire école ; ce qui importe, c’est de se mettre au travail, avec une curiosité insatiable sur la causalité psychique. Sont évoqués la configuration familiale, la passion pour la France depuis le lycée français du Caire, l’amour du théâtre, une judéité abstraite, un athéisme revendiqué… La diversité des passions et des intérêts, esthétiques mais aussi éthiques, n’empêche pas le maintien de l’ancrage dans le théâtre grec, avec une fascination particulière pour la maternité blessée de Clytemnestre. Oui « la littérature nous fut d’un grand secours ».
Le regard du psychanalyste sur l’art et la création ne dit pas tout, mais il n’est pas réducteur, même s’il opère une certaine désacralisation. L’analyse a affaire avec une vérité, construite par la mise en perspective d’un certain nombre d’investigations, sensible de façon énergétique dans la liberté que donne au patient, pour un temps, la bonne interprétation. L’intérêt de la psychanalyse, c’est d’arriver à entrer dans la complexité d’attitudes mentales qui ne sont explicables ni par le sens commun ni par la référence aux catécholamines. La clinique des limites souligne avec vigueur la force des processus de négativation, la peur des patients devant leurs pulsions (sans même le savoir), les conditions de l’interprétation processuelle souvent nécessaire, la valeur de l’action et son importance métapsychologique, l’interrogation sur la psychose, l’aberration d’une psychiatrie qui ne prend plus le temps d’écouter. L’analyse est toujours en mouvement : le concept de neutralité bienveillante doit continuer à être travaillé, la pulsion de mort à être discutée, les indications d’analyse dépendent aussi de l’analyste (son être et sa façon de travailler), les analystes ont besoin d’une formation à la psychothérapie… Dans le travail de la mémoire amnésique, cette mémoire réactualisée qu’est l’analyse, l’alternative entre remémoration et répétition est dépassée, car ce qui est à penser, c’est que ce qui refait surface dans le psychisme est le produit d’une transformation.
André Green évoque aussi Viderman, Bouvet, Winnicott, critique les intersubjectivistes, discute les positions de Michel Foucault et de Gilles Deleuze ; le dernier chapitre évalue l’œuvre et l’influence de Lacan. L’auteur discute sous plusieurs angles le besoin d’illusion et en appelle à une pensée suffisamment dialectique. Ce livre manifeste à l’évidence que parler de psychanalyse, c’est parler d’art et d’amour, mais aussi de travail et de pensée. Stimulant pour le lecteur, il éveille sa gratitude.