Maître de conférences à l’Université Paris V, l’anthropologue Bertrand Pulman réexamine le travail, les méthodes et les positions de Bronislaw Malinowski, dont l’enquête dans les îles Trobriand aurait invalidé les thèses freudiennes, ou du moins leur universalité. Ces conclusions sont longtemps restées des évidences acquises dans l’enseignement de l’anthropologie, faisant obstacle au dialogue entre analystes et anthropologues.
Or les conditions dans lesquelles Malinowski a séjourné aux Trobriand, les méthodes qu’il a mises en œuvre et le manque de rigueur de certains de ses raisonnements amènent à contester ses résultats. C’est ce que prouve B. Pulman, par une démonstration systématique et implacable. La première partie présente Malinowski et décrit « la naissance d’un mythe » et l’importance pour Malinowski de ce combat contre Freud qui lui valut sa réputation et son autorité scientifique. La deuxième présente l’organisation sociale et familiale des îles Trobriand.
Puis sont reprises les trois thèses problématiques : la liberté sexuelle des trobriandais saute aux yeux d’un Malinowski exilé et éloigné de la femme qu’il aime, mais lui fait sous-estimer voire ignorer nombre de règles qui s’exercent avec rigueur derrière la spontanéité apparente et la liberté de certains rapports sexuels.
Les trobriandais, d’autre part, ignoreraient la paternité physiologique puisqu’ils racontent qu’un esprit vient dans le corps de la femme qui s’avère enceinte. Mais c’est oublier que la conception religieuse est d’un autre niveau et d’une autre logique que la parole sur la sexualité des époux et qu’il existe un tabou très rigoureux qui interdit de parler de celle-ci devant des étrangers au couple. D’autant que les formes d’interview de Malinowski sont souvent directes, voire provocatrices et brutales. Des indices plaident au contraire en faveur d’une reconnaissance de la paternité psysiologique concomitante avec une bienséance qui invite à la taire. De plus, durant son séjour, Malinowski n’a fait appel qu’à des informateurs hommes, jamais à des femmes. Enfin quant à l’existence d’un complexe spécifique, distinct du complexe d’Œdipe, Bertrand Pulman met en évidence la très partielle et faible et connaissance que Malinowski avait des positions et des textes freudiens, sa non prise en compte d’un quelconque refoulement et étudie le ton d’un débat qui d’emblée s’est mal engagé. Son étude critique systématique de certains textes de Malinowski s’avère très convaincante. Il lui reste ensuite à montrer pour quelles raisons des thèses si faibles sont si longtemps restées la référence.
Mené comme une enquête passionnante, précis et rigoureux mais aussi très vivant, ce livre devrait permettre aux psychanalystes de sortir de l’hypothèque que Malinowski a très arbitrairement mais très habilement fait peser sur leur discipline et leur prétention à considérer l’Œdipe comme universel. Il devrait sortir de ce livre les conditions d’un dialogue ouvert et renouvelé entre anthropologie et psychanalyse.