La sélection annuelle d’articles parus, en 2010, dans l’international journal of psychoanalysis s’articule autour du thème de la traduction (sur lequel l’équipe de traducteurs de l’annuel possède quelque expertise), dont l’actualité s’alimente du passage cette année dans le domaine publique de l’œuvre freudienne et des nouvelles traductions qui en sont issues.
La traduction est-elle possible, se demande Dana BIRKSTED-BREEN ? La rédactrice en chef de l’international journal place la difficulté au niveau de la capacité du traducteur à renoncer à « l’état d’équilibre » de sa langue et à laisser sa langue maternelle être « pleinement »bouleversée par la langue étrangère. Une formulation qui, on le voit, engage « pleinement » l’organisation pulsionnelle du traducteur.
A l’inverse, Jean Michel QUINODOZ, après un tour d’horizon historique de la traduction de FREUD en français, critique la traduction des œuvres complètes par les P.U.F., dont la langue d’accueil, le français, lui paraît trop radicalement bouleversée. L’auteur nuance son propos en replaçant le problème dans la perspective du public visé. Si on peut considérer la traduction des P.U.F. comme l’outil de référence, en revanche le barrage que peut constituer cette « novlangue » risque de rebuter le lecteur novice qui découvrirait FREUD. Aussi plaide-t-il, logiquement, pour une pluralité des traductions.
La traduction est aussi au centre des débats théorico-pratiques entre les différents courants de la psychanalyse. Jonathan LEAR imagine les différentes interprétation d’un même matériel selon différents présupposés théoriques de l’analyste. L’expérience est séduisante mais le débat semble biaisé de ce que, curieusement, la sexualité infantile sous jacente au matériel soit éludée, au profit d’une lecture plus proche des théories de l’attachement.
C’est une autre confrontation, entre le travail du rêve selon FREUD et celui de la rêverie selon BION, que propose John A. SCHNEIDER. Ne s’attachant qu’au seul aspect de « gardien du sommeil », SCHNEIDER comprend le travail du rêve comme une mise en forme d’un inacceptable pour le rêveur. Si cette définition abolit toute référence au conflit psychique et à la dimension de formation de compromis entre désir et défense, c’est sans doute pour mieux spécifier la position de BION, pour qui le rêve ne se limite pas au temps du sommeil mais constitue plutôt un état du « pensoir » lié au travail de la pensée dans l’inconscient. Dans cette perspective le rêve rapporté par le rêveur témoigne d’un échec de la fonction de rêverie qui assure la métabolisation (digestion dit-il) d’éléments psychiques bruts. Des rêves qui ne sont pas des rêves s’avèrent ne pas pouvoir s’intégrer associativement à la pensée : par exemple les rêves récurrents d’un évènement traumatique. Ces rêves sont une tentative de contrôler par l’hallucinatoire le perceptif brut non métabolisable. La fonction de la séance serait alors de poursuivre le rêve dans les aspects qui n’ont pas pu être rêvés. Mais l’auteur semble manquer en quoi la pensée de BION vient traduire tout en la prolongeant la pensée de FREUD. On pense aux « Nouvelles conférences » pour ce qui est du traumatique mais aussi à la rêverie diurne ou aux souvenirs-écrans, qui témoignent eux aussi de la persistance à l’état de veille du fonctionnement psychique propre au rêve.
René ROUSSILLON, s’intéresse, lui, à la manière dont WINNICOTT « traduit » FREUD pour modéliser le passage du monde solipsiste du narcissisme primaire à celui de l’ouverture aux objets. L’autre est d’abord conçu comme un double qui exclut la pensée d’une altérité, laquelle reste à découvrir. Or, l’expérience de déplaisir ne suffit pas à cette découverte qui peut rester représentée comme destruction de toute satisfaction par le sujet lui-même. C’est pourquoi WINNICOTT insère, entre les deux, un temps supplémentaire qui inclut la réponse de l’objet (et ses aléas) comme porteuse de l’ouverture au monde et à l’altérité. Aussi, pour que ce passage s’accomplisse, l’analyste va-t-il devoir « rendre son ombre à l’objet », l’auteur faisant allusion, là, à la célèbre formule de Freud concernant le mélancolique.
Un cas clinique vient illustrer ce point technique : après un temps « actuel » qui se joue dans le transfert, une reconstruction historique est possible dans un second temps, qui vise à présentifier les caractéristiques des relations avec les premiers objets.
La démonstration élégante de ROUSSILLON ne parvient pas à éviter une impression de simplification excessive avec ce modèle d’un monde des premiers temps où tout ne serait à comprendre qu’en fonction de mouvements d’amour et de haine. La réalité de l’infans, dans ses capacités propres, la richesse et la multiplicité des liens engagés avec l’entourage ne sont pas pris en compte. Peut être est-ce l’absence de référence à la fonction du langage qui aplatit ici le tableau proposé. Mais là n’est pas le propos de l’auteur qui vise à faire résonner ensemble ces deux auteurs dont les modèles sont difficiles à articuler l’un à l’autre.
En marge du thème général du livre, Carole BEBE TARANTELLI livre un texte original qui traite de l’impact des liens de groupe sur l’engagement individuel à travers l’expérience des terroristes des brigades rouges. L’utopie collective, devenue impératif d’action, permet un renoncement à la pensée. L’idéologie destructrice, élevée au rang d’Idéal du moi, y tient la place du chef, s’affranchissant des contraintes liées au contrat social. « Ainsi, la révolution, peut être considérée comme un objet délirant auquel s’identifier », et le réformateur, comme l’ennemi à abattre. Car le réformiste, représentant la compromission avec la réalité, expose l’individu au doute, là où l’ennemi réactionnaire ne présente qu’une image spéculaire inverse. Curieusement, le pacte dénégatif entre ces terrifiants révolutionnaires s’accompagnait de projections d’après révolution étonnamment « petit bourgeois ».