Acceptons de laisser se transformer notre regard en accompagnant Marie Rose Moro, dans son double voyage, ici en France, en observant sans à priori les enfants d’ici venus d’ailleurs, et là-bas, dans des pays victimes de guerre ou de désastres, en clinique humanitaire. Les enfants ne sont pas investis partout de la même manière et tout au long de son ouvrage anthropo-psychanalytique, l’auteur interroge les ingrédients dont l’enfant, ici et maintenant, a besoin pour grandir et la façon dont on peut aider ses parents à les lui donner. » (p. 13).
M. R. Moro ouvre son livre en questionnant le désir d’enfant, ici et ailleurs, et constate cette incroyable différence : pour les femmes migrantes, la question du désir d’enfant ne se pose pas car pour elles, il arrive quand il arrive, il se décline au pluriel et elles l’aiment alors que dans nos sociétés occidentales, l’enfant se décline au singulier et est d’autant plus précieux qu’il est rare et désiré. « Aimer se décline donc au singulier pluriel » mais affirme l’auteur ce dont ont besoin les enfants, ici et ailleurs, c’est d’une structure qui les porte et les protège et qui peut être multiple. Multiplicité que l’on retrouve d’ailleurs dans notre évolution actuelle des différentes configurations parentales : familles adoptives, homoparentales, recomposées et dans la mise en place de figures parentales variées « celles des géniteurs mais aussi des mères et des pères transitoires, des co-mères ou des co-pères, trouvant leur place dans de nouvelles parentés pour des enfants d’ici », rejoignant d’une certaine manière des modes de fonctionnement que l’on retrouve dans les cultures d’ailleurs. De nombreuses autres questions sont abordées, comme celles du croisement des langues chez les enfants de migrants, du bon ajustement à trouver pour ces enfants entre filiation et affiliation. L’auteur insiste sur l’importance de pouvoir penser qu’il y a « plusieurs ordres possibles, que les règles de parenté et le repérage à l’intérieur d’une famille doivent à la réalité de sa structuration et non à la projections de nos propres règles » (71). Plaidoyer ardent pour la différence, l’ouvrage aborde la polygamie « mode d’organisation sociale, affectif et économique qui a sa propre logique protection des enfants ». Le thème de « la fabrication des parents » interroge la dimension culturelle et psychique de la parentalité. Pour les familles de migrants, les filiations sont précarisées par des ruptures dans la transmission et le travail du thérapeute rejoint celui du « tisserand qui travaille à recoudre localement deux mondes séparés » (Serres). Tous les sujets actuels “chauds” sont traités de façon ouverte et engagée, le racisme, le port du voile, la violence des enfants à l’école, la violence dans les banlieues. Un chapitre développe la question de la maltraitance des enfants ici et ailleurs et « si la vie se transmet, le trauma aussi. » Il est aussi question d’excision, de guerres, de catastrophes. Ce livre riche et touffu nous offre de nombreux récits cliniques. Puis pour répondre à la question « de quoi ont besoin les enfants pour grandir ? », l’auteur aborde la question des modes de garde, de l’école avant l’âge de 2 ans, des adolescents, de l’importance des « Maisons d’adolescents.» Elle témoigne du travail thérapeutique transculturel réalisé dans le service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’Hôpital Avicenne (Bobigny) et de cette pratique psychothérapeutique groupale qui leur est spécifique et qui fait écho au fait que dans les sociétés traditionnelles, l’individu est pensé en interaction constante avec son groupe d’appartenance. Ce livre tonique ouvre au monde, condition pour que l’autre naisse, quoi de plus normal quand il s’agit d’enfants. La transformation du regard est garantie.