Pour Pierre Henri Castel, psychanalyste lacanien et philosophe, la psychanalyse résiste bel et bien aux critiques émises par ses meilleurs adversaires – elle « tient » face à leurs arguments - mais en changeant l’inflexion de ce mot, elle résiste aussi … à elle-même en laissant se développer des tendances internes qui la desserve, voire l’invalide.
Loin de répliquer à A. Grünbaum ou à M. Borch-Jacobsen, il agrée à leurs travaux. Seules ses conclusions divergent : si la psychanalyse n’est pas une science comme la physique, cela ne l’empêche pas d’être une discipline rationnelle. Si l’historiographie freudienne est bien une hagiographie, cela n’altère en rien le cœur de la discipline.
La psychanalyse ne peut se muer en une physique de l’inconscient : il n’est pas possible de penser la possibilité d’une « neuro - psychanalyse » à la recherche des éventuelles continuités entre la physiologie du cerveau et les concepts métapsychologiques élaborés par S. Freud. De même la constitution d’un corpus de connaissances générales transmis dans les amphithéâtres universitaires ne conduit qu’à renforcer la vanité normative des généralisations psychologiques sans rapport avec la substance propre à la discipline.
Mais c’est avant tout parmi les praticiens, dans les débats cliniques, les plus internes donc, que la résistance de la psychanalyse à elle-même est la plus aigüe. Pour ce lacanien, l’affadissement, la banalisation, voire le dévoiement de la psychanalyse, son « ravalement au rang de « thérapie humaniste » est possible pour tout analyste (les lacaniens ne jouissant là d’aucun privilège), dès que le Witz, l’esprit, cède face à un ensemble dogmatique de connaissances, voire en une série de formules toutes faites.
La dernière partie de son livre, consacrée à l’examen du contexte social dans lequel ces résistances prospèrent, m’a semblée la plus originale et la plus intéressante. L’auteur part de la situation de la psychiatrie, discipline quasi moribonde où la discussion rationnelle est monopolisée par les polémiques violentes et de mauvaise foi entre partisans et adversaires de la psychanalyse.
Le souci de « dépsychiatriser » les malades mentaux, de leur rendre leur autonomie, conduisant par exemple à rendre le mari schizophrène à sa femme, la dépressive chronique à son entreprise… sert avant tout à justifier la fermeture des lits d’hôpital, C’est ainsi que le nombre de malades mentaux s’accroît dans les prisons et dans les rues, tandis que les soins aux malades mentaux se diluent de plus en plus dans des formes d’accompagnement familiales et associatives. Les conséquences sont importantes pour la psychanalyse car ce mouvement « d’humanisation » des maladies mentales conduit en fait à l’euphémisation de la souffrance, euphémisation qui fonctionne absolument à rebrousse poil de la psychanalyse.
Dans ce contexte la défense positive de la psychanalyse s’avère difficile d’autant qu’elle s’est lourdement fourvoyée :
– Son appétit pour la généralisation psychologique irait de pair avec « la dégénérescence de sa production savante »
– Loin d’être comme à ses débuts, un scandale, elle s’est laissée approprier comme caution de causes idéologiques secrétant de nouveaux conformismes tout aussi contraignants que les précédents (minorités sexuelles, bouleversement des structures de parenté…).
– Dans un autre registre, la question sociologique qui oppose aux ravages supposés de l’individualisme contemporain la nécessité de « sauver le sujet » conduirait aussi la psychanalyse vers une perte de substance.
Au terme de ces sévères critiques, quel avenir la psychanalyse pourrait-elle encore imaginer? Celui d’une discipline modeste, ironique et décalée, ne cherchant pas à rassurer, montrant « l’existence au cœur de l’être de quelque chose qui n’est pas fait pour plaire, surtout pas moralement… »
Un ton prophétique pour plaider … la modestie ?