[restrict]Bernard Voizot
Les réflexions que je propose à la discussion se fondent sur les engagements que j’ai pris dans les structures de la SPP : CA, Commission Socio Professionnelle, CRDP et sur l’expérience acquise dans d’autres sociétés scientifiques comme la SFPEADA et le Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale (CPGF) au sein duquel je mène des actions de formation dans le prolongement des travaux de Paul-Claude Racamier.
Attentif aux interrogations formulées par des collègues au cours des conversations spontanées, j’ai remarqué que certains avaient regretté que les réunions institutionnelles regroupent surtout des membres anciens qui sont souvent à la tâche. Malgré les efforts de tous, existerait-il encore une tendance au clivage entre les anciens et les jeunes au sein de la SPP ?
Les plus anciens d’entre nous auraient-ils accepté d’être « en psychanalyse » comme on « entre en religion » ? Le lien établi entre les membres anciens est-il difficilement acceptable par des collègues plus jeunes qui refuseraient d’être embrigadés dans un système très prenant, chronophage et exigeant, avec ce qui pourrait être perçu comme une tyrannie des idéaux. Il s’agirait d’être toujours la meilleure société, de faire les meilleurs colloques, les meilleurs congrès, etc. On trouverait les mêmes perspectives élitistes que dans les grandes écoles ou l’ENA et cela correspondrait à un besoin de mettre en avant l’excellence française au niveau de la culture.
Au sein de notre société scientifique, les réunions et colloques consacrés à l’œuvre d’un collègue sont très fréquentées. La transmission par le compagnonnage reste prévalente dans nos groupes. Ceux-ci témoignent de la nécessité de poursuivre les séminaires et les supervisions collectives. Malheureusement la recherche sur le fonctionnement des groupes reste un mouvement minoritaire au sein des psychanalystes de langue française. Faut-il y voir aussi l’effet des positions prises par Jacques Lacan. Cela aurait créé une sorte d’ostracisme portant sur les psychanalystes s’intéressant au groupe. Serge Lebovici a pourtant présidé une des premières sociétés psychanalytiques de groupe. De nombreux membres de la SPP se sont intéressés à la recherche sur les groupes en participant activement, par exemple, aux activités du CEFFRAP, aux sociétés psychanalytiques de groupe, à la constitution de recherches sur les groupes d’enfants (l’exemple de Pierre Privat reste vivant pour beaucoup d’entre nous), en animant des équipes institutionnelles (on doit donner toute la valeur à ce qu’ont réalisé Raymond Cahn, Roger Mises, Jacques Hochmann, Jacques Azoulay et beaucoup d’autres).
Je propose que nous examinions la prise en compte du fonctionnement des groupes dans le fonctionnement de notre institution, la SPP. Dans un livre récent, (publié en anglais sous le titre « Fanaticism in Psychoanalysis », Karnac), Manuela Utrilla Robles poursuit sa réflexion sur l’analyse des groupes et l’analyse situationnelle, qu’elle avait commencé avec : « Traiter l’enfant en institution, point de vue d’une psychanalyste ».
J’amorcerai quelques propositions de réflexions à partir de mon souhait de comprendre les fragilités de la démocratie. Cette démarche se fonde sur la lecture de quelques livres récents d’analyse politique qui s’efforcent de repérer les mouvements actuels décelables dans l’évolution des sociétés occidentales. « Bienvenue dans le meilleur des mondes » de Natacha Polony et le comité Orwell ; « Si la démocratie fait faillite » de Raffaele Simone ; « Penser dans un monde mauvais » de Geoffroy de Lagasnerie. La revue Philosophie magazine titre son numéro de mars 2007 : « Peut-on aller bien dans un monde qui va mal ? ». Elle rejoint les préoccupations de nos collègues François Richard : « L’actuel malaise dans la civilisation » et René Kaës : « Le mal-être ». Ces points de vue doivent être articulés avec les travaux de Marcel Gauchet sur la sortie de la religion et les questionnements actuels sur la laïcité menée dans les débats du centre Sèvres et au sein de l’Espace Éthique Île-de-France.
Mes réflexions personnelles ont accompagné la démarche de la Sous-commission SPP Psychiatrie de la Commission Socio Professionnelle. Celle-ci prend en compte la vie institutionnelle dans les services de psychiatrie générale et de psychiatrie d’enfants et adolescents ainsi que le rapport que ces structures soignantes peuvent établir avec le pouvoir politique. Le C.A. de la SPP avait répondu fortement à l’attaque des soins représentée par la proposition Fasquelle et l’annonce des modalités de recrutement des maîtres de conférences et professeurs d’université.
Le texte de l’article d’Emmanuel Hirsch (Responsable de l’Espace Éthique Ile de France), publié dans Le Monde en juillet 2016, montrait les dangers d’une gestion technico-administrative des soins qui faisaient perdre aux soignants la satisfaction d’une identité professionnelle. Différents mouvements se sont manifestés tels que l’Appel des Appels (APA) pour tenter de s’opposer à cette emprise en maintenant la qualité des pratiques professionnelles malgré les réorganisations administratives. Des membres de la SPP ont été présents dans les mouvements qui s’opposaient à l’emprise de l’idéologie du DSM sur la psychiatrie.
Face à la mise en place de réorganisations administratives qui ont pour but de gérer les structures en refusant la dynamique conflictuelle de la vie, il me paraît nécessaire de mettre en place les outils diversifiés d’une analyse de l’évolution sociétale à laquelle participent déjà des psychanalystes. Cela continue de s’effectuer, par exemple, au sein de la Commission Socio Professionnelle. Au cours de ces réunions nous sommes attentifs à suivre la prévalence du pouvoir administratif sur le travail des soignants. Cela ce produit par la prescription des évaluations quantitatives, avec la réduction des temps de parole et de réunions spontanées d’échanges entre les professionnels concernés par les cas suivis.
Il devient nécessaire d’assurer une large diffusion à la mise en valeur de la clinique, de cette démarche d’observation et de diagnostic au cours de la rencontre avec un patient et de s’opposer fortement aux procédures qui vont s’appuyer sur une idéalisation de l’intelligence artificielle. Ceci nous place dans d’une position de « résistants » et nous impose de penser le rapport de la psychanalyse avec le développement de l’intelligence artificielle et l’apparition des dangers qu’elle fait courir et que certains commencent à mieux appréhender. Nous devons porter ce questionnement au niveau des plus jeunes : les enfants, car il est nécessaire de se demander quel monde vont-ils avoir à appréhender au moment de leur développement quand on sait l’importance de la période du collège et la préadolescence.
Il serait intéressant de mieux diffuser ces recherches à l’ensemble des collègues dans le cadre des activités scientifiques. Cette analyse pluridisciplinaire devrait pouvoir s’appuyer sur le développement des réflexions métapsychologiques concernant les clivages dans les groupes. On a constaté par le passé que les groupes de psychanalystes ont tendance à se diviser et à se séparer. Mais il leur arrive aussi ensuite de chercher à se regrouper. Ces constats justifient une analyse historique plus approfondie de l’évolution des groupes institutionnels
À titre d’exemple, pour analyser l’évolution de nos groupes scientifiques, il pourrait être intéressant de comprendre comment se sont déroulés les processus de décision au sein de la SPP. Au moment du changement des locaux, on a pu voir comment les présidents ont cherché à promouvoir l’idée d’un déménagement, à construire une politique d’investissement immobilier, avec l’étape de l’achat du local de la BSF rue Vauquelin.
Cette politique a été menée grâce à la continuité et la solidarité de présidents successifs après un moment très particulier où l’absence de candidature à la présidence a obligé les membres à constituer un conseil d’administration qui, me semble-t-il, a refondé la légitimité du pouvoir du bureau. En accédant à la présidence, Gérard Bayle a réalisé ce qu’on peut considérer comme une action parlante en demandant que la disposition des chaises des membres du Conseil d’Administration soit modifiée. D’autres décisions et d’autres interventions de l’histoire récente de la SPP peuvent être comprises dans cette dynamique créée par Paul-Claude Racamier.
Les liens établis entre les présidents et la constitution du groupe des collègues qui se sont attachés au suivi des travaux a permis que le poids de la tâche accomplie soit réparti sur plusieurs personnes. En effet, Il est essentiel que les dirigeants puissent disposer d’un temps de prise de distance vis-à-vis du rythme parfois infernal des activités de direction.
En analysant les clivages qui s’instaurent entre des sous-groupes et les défenses narcissiques qui les sous-tendent, il m’a semblé intéressant de faire remarquer, à l’occasion de plusieurs l’assemblées générales, combien les échanges entre des Commissions avaient pu être fructueux et provoquer des dynamiques nouvelles dans les recherches et les activités scientifiques des psychanalystes, relançant ainsi l’intérêt des plus jeunes pour les activités de la SPP
Dans le mouvement d’ensemble des institutions psychanalytiques, on peut reconnaître la nécessité de constituer des « isolats » (lieux de parole et d’échanges suffisamment séparés du monde extérieur pour garder intact le cadre d’une dynamique et d’une créativité, selon la conception de Jean-Claude Rouchy). Pour rester vivants, ces « isolats » doivent être reliés entre eux sous forme d’un réseau permettant une communication dans des temps et des espaces suffisamment élaborés afin de rendre possible des échanges et des différenciations. Certains collègues ont proposé l’idée de « réseaux de résistance ». Il serait intéressant de revenir sur l’histoire du « groupe de contact » qui s’est réuni pour défendre la psychanalyse au moment où il fallait que les Sociétés de Psychanalyse prennent position vis-à-vis des options ministérielles.
La présidence d’une société scientifique engagée dans des actions de formation doit à la fois pouvoir prendre en compte la réalité sociétale actuelle et organiser les formations et la diffusion des avancées scientifiques malgré la force des pouvoirs financiers en s’efforçant toujours de maintenir l’espace de créativité pour la recherche. Avec la C.R.D.P. nous disposons d’un espace de liberté où tous les membres de la société peuvent exposer leurs idées nouvelles et les confronter dans les échanges inter analytiques dont la journée consacrée à l’œuvre de Jean-Luc Donnet bien montré l’importance.
La création de cette tribune des membres doit pouvoir répondre au besoin d’échanger des idées nouvelles concernant le fonctionnement de notre institution et son rapport à l’évolution de la société.
Paris, le 28 Février 2018
Dr Bernard Voizot
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Tél. : 01.45.65.91.73
E-mail : bernard.voizot@orange.fr
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