1. L’évolution des idées
Dans l’histoire de la psychanalyse, le silence de l’analyste a été l’objet de débats dans la mesure où il est un effet dans la pratique des options théoriques, mais aussi, en France notamment, l’objet d’une sorte de consensus implicite qui a un temps prévalu. Il arrive qu’il tende actuellement à s’inverser en excès d’interventions. La critique de l’arbitraire interprétatif (Lacan : « vous interprétez, mais qu’en savez-vous ? ») allait dans le même sens que la rupture avec l’analyse didactique, donc de la distinction claire de la formation et de l’analyse personnelle.
Le silence n’a pas été spécifiquement théorisé par Freud, sinon pour condamner l’analyse sauvage, mais il est lié à la notion de perlaboration comme processus du changement structurel intrapsychique. La perlaboration par le patient de l’interprétation de l’analyste, au moins dans la forme décrite par Freud en 1914 (« Remémoration, répétition, perlaboration »), suppose une symbolisation souple et efficace pour faire face aux pulsions et que le moi après l’interprétation, abandonne le refoulement et assume le retour du refoulé. Le silence qui va de pair avec la réserve et l’effacement de l’analyste, laissant au patient l’initiative de la parole, distingue fondamentalement la psychanalyse de l’hypnose et de la suggestion, mais la pratique de Freud n’était guère silencieuse. Avec Dora, il est loisible de penser que le silence aurait pu favoriser la perception et la prise en compte du transfert qu’il a regretté avoir ignoré dix ans plus tard.
L’adéquation initiale de la théorie et de la pratique dans la référence au rêve et au « baquet du psychanalyste » (Laplanche) conçu sur le même modèle a été élargie, avec la deuxième topique, à une autre logique impliquant, en deçà de la représentation, les motions pulsionnelles du « ça » finalisées par l’agir, le dualisme pulsionnel, le moi inconscient et les défenses primaires. Le transfert et le jeu économique des investissements ont eu dans la théorie du changement psychique un rôle accru. La modification des rapports du moi-surmoi et du ça a redéfini la perlaboration comme subjectivation (wo es war soll ich werden) à condition que la représentance ne soit pas compromise par l’effet des traumatismes et par la compulsion de répétition.
En 1926 (Inhibition, symptôme et angoisse), il s’agit de surmonter les résistances du moi, mais aussi la résistance du ça. A ce sujet, Freud insiste sur la patience et le rôle du temps “en fonction d’une résistance inconnue”. En cas de réaction thérapeutique négative (Le moi et le ça, 1923), des “efforts communs” du patient et de l’analyste sont nécessaires, et dans « Constructions dans l’analyse » (1937), Freud évoque le travail psychique conjoint du patient et de l’analyste, mais sur deux scènes séparées et, peut-on ajouter, dans une implication fort différente.
La place donnée au Moi inconscient alimentera, notamment aux Etats-Unis, la théorie de l’analyse des résistances comme temps premier de la cure (Greenson, Fenichel). En 1949, R. Fliess, examinant les types de silence, les a décrits, dans le cadre d’une théorie des relations d’objet, du langage et du Moi, comme trois types fondamentaux de langage régressif (urétral, anal, oral), mais déjà auparavant Ferenczi et Abraham, l’avait rattaché à la rétention anale. A l’idée du silence comme défense, Reik et Glover ont opposé le silence d’ouverture, la réponse la plus convaincante à l’interprétation juste de l’analyste. Reik (1926) fut le premier à défendre l’idée de la valeur technique positive du silence.
La référence aux relations de l’enfant avec ses parents, et aux relations d’objet du moi, est ensuite venue au premier plan, de sorte que l’implication de l’analyste dans la cure devint une question centrale. A partir de 1950, la prise en compte du contre-transfert, longtemps réduit à un avatar de la cure, pris une place croissante dans la théorie. L’idée provocante de Ida Mac Alpine de la production du transfert par l’analyste, et par la situation analytique, conduisait nécessairement à une interrogation renouvelée sur les interventions de l’analyste, la dimension de la suggestion, les risques d’endoctrinement, et corrélativement sur l’usage du silence comme garant de l’abstinence, de la neutralité. Le silence est, pour l’analyste, le temps de l’analyse du contre-transfert qui peut être un moyen de connaissance de l’inconscient du patient (P. Heimann).
De M. Klein à J. Lacan, on est passé de la disparition du silence à son statut de principe fondateur. La question est celle de son rapport avec l’interprétation. La répétition de l’interprétation sous des angles divers préconisée par M. Klein peut entraîner la surenchère interprétative avec le risque du double discours. Cette exclusion du silence par M. Klein est corrélative de l’absence de prise en compte dans la théorie de la perte d’objet, du manque, de la négativité, donc des différents niveaux et des conditions du processus qui va de l’inconscient à la mise en scène fantasmatique et à la parole en analyse. De plus, en matière de psychanalyse de l’enfant il est évident que le silence a une toute autre place.
Selon Lacan, au moins au début de son œuvre, le travail du langage sur lui-même dans la parole adressée à l’analyste silencieux et le repérage de l’équivoque du signifiant suffiraient pour que l’analysant fasse son analyse – ou ne la fasse pas. Une conception tributaire de la linguistique structurale à l’opposé de la pragmatique de la communication.
Inversement l’évolution vers des conceptions, relationnelles, dialogiques, personnalistes et empathiques de la psychanalyse, notamment aux Etats-Unis, ont exclu le silence et rapproché psychanalyse et psychothérapie. Cette dérive, alimentée par le pluralisme théorique, a valorisé de diverses manières l’empathie comme base clinique commune. Elle a donné lieu récemment en France à une critique systématique (L. Kahn, 2014), et le rappel des invariants fondamentaux de la psychanalyse lui a été opposé. La neutralité (sinon l’indifférence), la réserve et le silence rendent possibles et analysables les phénomènes de transfert et de contre-transfert.
Ainsi, d’une manière générale, depuis quelques décennies, les publications sur l’implication de l’analyste au travail se sont multipliées dans diverses directions de sorte que la question de la place du silence dans la pratique et dans la théorie de l’action de la psychanalyse se pose de manière nouvelle. Mais, d’abord qu’en est-il du silence du patient ?
2. Les silences du patient
Sans envisager ici la grande diversité des significations du silence, il faut d’abord considérer qu’il est d’abord l’effet de la règle fondamentale d’exclure tout discours préparé pour donner expression verbale, aussi spontanée que possible, aux pensées, aux images, aux émotions telles qu’elles viennent à l’esprit en séance. Un certain recueillement silencieux est souhaitable comme toile de fond. Ainsi le silence de l’analysant loin de n’être qu’une forme de résistance est la condition de l’activité imaginaire dans laquelle il est immergé (comme dans l’endormissement, selon la comparaison de Freud). Cette forme de pensée peut être complexe, multidimensionnelle voire chaotique, aux limites du pensable dans la prédominance des affects positifs ou négatifs, de sorte que, souvent, ne pourra en être exprimé verbalement qu’un aspect. Mais dans la durée, émerge ce qui est déterminé par l’inconscient pulsionnel. La position allongée, excluant la perception visuelle de l’analyste, favorise le transfert comme quiproquo anachronique.
Selon Freud, le mutisme, dans les rêves et ailleurs, est indice, symbole de la mort (le silence de la pulsion de mort dans le ça). De plus, avec un patient silencieux, l’analyste n’est pas en mesure de connaître les effets de son propre silence, qu’il ne peut qu’imaginer, conjecturer ou s’irriter du non-respect de la règle fondamentale du tout dire, non-respect qui le met en échec rendant l’analyse impossible. Mais il y a lieu de distinguer (avec Winnicott, 1963) la non-communication et le refus de communiquer ainsi que les raisons de l’un et de l’autre.
En cas de processus analytique de type névrotique, le silence crée l’espace pour la manifestation de l’autre scène, celle de l’inconscient, comme toile de fond des associations d’idées. Mais il peut être une réaction négative à l’absence de réponse de l’analyste aux demandes explicites et de réactions aux contenus manifestes, avant de prendre valeur incitatrice de l’association des idées. Idéalement, le silence est comme l’ombre portée de la parole, son corrélat dans la communication préverbale et dans le registre des affects, surtout si les rares interventions de l’analyste donnent au patient le sentiment de vérité et la preuve de la qualité de son attention avec effet de réparation narcissique. Le silence peut signifier selon le contexte, la fusion, la bienveillance, la complicité, mais aussi l’indifférence, le rejet. Idéalement, « il est le lieu de l’effacement du manifeste pour que se révèle le latent. »
Le silence est le temps de l’élaboration psychique chez l’analysant et, autrement, chez l’analyste. La perlaboration résulte du travail de l’écart entre l’entendu (l’interprétation) et la pensée consciente, entre l’expérience sensible et le fantasme inconscient dans la réalité psychique : d’où l’importance du point de vue économique. Ce travail de confrontation peut être analogue à un travail de deuil. En outre, la symbolisation requiert le travail du négatif (la métaphore, le symbole comme meurtre de la chose).
Il en va autrement dans les fonctionnements psychiques non névrotiques que certaines traditions de l’histoire de la psychanalyse ont déclarés inanalysables du fait de l’absence de transfert ou de transferts atypiques : narcissique, psychotique, limite ou subverti par les identifications projectives. L’analyse n’est possible que par la participation de l’analyste au processus de la cure : exclut-elle ou réduit-elle le temps du silence, quelle devient sa place, sa fonction dans la pratique et dans la théorie du changement psychique ?
3. Le silence de l’analyste
Il est un aspect impossible à abstraire sans artifice de la position de l’analyste faite d’effacement, de réserve, de neutralité, l’initiative de la parole étant conférée au patient pour que, par les effets de la parole et de la pensée associative, il devienne analysant. Cet aspect du cadre spécifique dissuade les formes ordinaires de la communication, le narratif, l’informatif et les échanges interactifs (interlocutoires). Ses refus sont destinés à produire cette forme spécifique de communication qui passe par le silence. Celui-ci exprime et rend possible la disponibilité de l’ « écoute en égal suspens » : une réceptivité qui suppose une forme d’identification imaginaire et, chez le patient et chez lui, un travail conscient et préconscient ouvert aux manifestations de l’inconscient. Et donc la tolérance à l’incompréhension, à la confusion, quitte pour en sortir à renoncer un temps au savoir et au désir selon le conseil de Bion. Sont ainsi exclues, outre les conseils et les jugements, les interventions sur les contenus manifestes, les explications, les suggestions, et aussi la substitution à celles du patient de ses propres associations… L’évitement du silence peut être une défense de l’analyste par exemple par difficulté à assumer le transfert comme relation de transfert (c’est-à-dire incluant le contre-transfert), la passivité de la réceptivité, l’effet de la peur du transfert négatif et de l’interruption de l’analyse par le patient, ou encore le désir de contrôler le processus, sinon celui d’exercer une emprise sur le patient. Souvent, au début du cursus de formation psychanalytique, l’expérience prolongée de la psychothérapie en face à face et de la psychothérapie d’enfants et d’adolescents, conduit les jeunes analystes à des interventions trop centrées sur les contenus manifestes, explicatives ou supposées « contenantes » ou dites d’étayage.
Le but du silence de l’analyste est de faciliter l’association des idées et la mise en représentation chez le patient. A vrai dire, silence et interprétation sont inséparables, comme deux aspects complémentaires du travail analytique. La germination de l’interprétation dans le discours intérieur de l’analyste suppose une forme de réflexion, de régrédience et de progrédience, qui donne fécondité à l’écoute flottante. Et si le silence de l’analyste est pour lui réserve, prudence, patience (ou effet de sa perplexité), pour le patient il est toujours chargé de sens à la mesure du transfert. Le temps du silence de l’analyste est lieu de projections pour le patient et l’imprévisibilité de sa parole accentue la nécessaire asymétrie de la relation. Une forme de résistance difficile à analyser est celle des patients dont la parole est prolixe et incessante, la succession des thèmes se substituant à l’association et excluant l’idée incidente, de sorte que l’analyste se trouve dépossédé de sa fonction par l’absence de silence. Il est dans l’alternative d’interrompre brutalement son patient ou de rester silencieux, mais alors parfois très longtemps, voire jusqu’à la fin. Il peut évidemment s’agir de faire vivre à l’analyste une situation dont il a souffert par répétition à rôles inversés. Au mieux, il s’agit d’une forme d’auto-analyse faite dans le dispositif et en présence de l’analyste assigné de force à demeurer silencieux, comme si le transfert sur la parole et sur le cadre se faisait aux dépens du transfert sur l’analyste. Mais l’analyse peut s’en trouver empêchée de sorte que le retour en face à face, au moins provisoire, peut être nécessaire.
Mais, le silence de l’analyste peut caricaturer son effacement et sa neutralité technique et induire une inhibition de la pensée du patient qui l’enferme dans son propre silence et parfois dans sa dépression : le silence dépressif. La situation analytique ne produit pas les effets qui en sont attendus. La frustration n’entraîne pas la régression narcissique, la remémoration, la pensée associative. Cette situation peut avoir fonction de collusion avec le patient pour éviter l’analyse : le silence du patient devient en miroir une rétorsion vis-à-vis du silence de l’analyste et l’analyse n’a pas lieu. Au pire, le silence de l’analyste a un effet désorganisateur sur les dialogues intérieurs du patient, un peu comme dans le roman de Nathalie Sarraute, « Le silence » (1993) : six personnages ne peuvent poursuivre leur dialogue du fait du silence d’un septième. Le vide au cœur de l’échange fait naître une spirale négative où chacun est entraîné jusqu’à la destruction de toute communication.
L’analyste silencieux peut entériner la croyance du patient en une relation idéale par transfert narcissique, il peut incarner un Idéal du moi grandiose tel qu’il est supposé tout savoir, présent et inaccessible, laissant l’impression que toute parole ne peut être que dérisoire, ce qui alimente l’autodépréciation dépressive. À son silence perçu comme regard surmoïque sur soi ne peut répondre que la sidération, l’inhibition mortifère de la pensée. Le patient se sent alors incapable d’exister dans un silence qui, n’attestant pas son existence singulière, le dissout. Le silence peut accréditer l’image de toute-puissance qui, par capture imaginaire, détourne le patient d’investir sa propre activité de pensée. Il peut s’agir ailleurs de l’actualisation régressive de la peur pré-phobique des espaces dissimulés et derrière soi comme dans le silence de la nuit, de l’inquiétante étrangeté ou de la présence de la mort qui peut y être liée, au-delà de la parole : le silence de mort opposé au silence vivant…
L’analyse peut conduire à l’expérience décisive du « désêtre » comme subversion radicale de la conscience de soi. Elle est ainsi reformulée par J. Kristeva (2007) : « Les moments de grâce de la cure ne sont-ils pas ceux où tout « self » s’avère faux, voire personne, et où les signes qui m’enchaînent contactent la chair sensible ? « Je » m’absente et « ça » parle. A force de parler de la sorte, je m’affronte au silence : silence de l’analyste, silence de l’angoisse. Mais encore et toujours – tant que dure le transfert – au silence de l’attente de sens : le silence du possible recommencement. » Elle précise dans « La haine et le pardon » (2005) : « Le silence systématique constitue l’analysant en objet passif ou désinvesti, et déclenche parfois une surinterprétation sans repère de sa part, qui le précipite dans la paranoïa. »
Faut-il savoir parler pour ne rien dire sinon pour attester d’une présence, d’une écoute, d’une patience ? La solution est certainement de parler pour créer le silence, restituer au patient dans une reformulation exacte du peu qu’il a dit, assumer la castration symbolique, celle de ne pas savoir : soit l’opportunité paradoxale des défaillances de l’analyste. Une de ses patientes ressent le silence de son analyste comme l’effet de son pouvoir de le faire taire et de le rendre impuissant, c’est-à-dire de le châtrer, mais tandis que beaucoup d’autres significations transférentielles sont en jeu notamment dans la communication extra-verbale, le silence excessif de l’analyste empêche l’analyse. C’est en raison de cette même constatation que, autour de 1980, beaucoup d’autres analystes en sont venus à mettre en question le silence érigé en principe. Green écrit en 1979 : « C’est en me refusant à cette situation mortifiante pour moi et pour mon patient que j’ai décidé de mettre en question la règle d’or du silence de l’analyste. » (La folie privée, p. 326).
Dans un compte-rendu détaillé de sa « psychanalyse empathique », en face à face, avec D. Anzieu, S. Tisseron (2013) a montré comment elle avait réparé les effets négatifs d’une première analyse avec un analyste silencieux et permis de faire face aux traumatismes précoces de son histoire. Il note cependant que l’excès de réactivité émotionnelle de l’analyste peut entraver la pensée associative de l’analysant et l’expression du transfert négatif.
Pour évaluer l’opportunité du silence et la dose de silence souhaitable, il faut clarifier sa place dans la théorie de la communication analytique et de l’élaboration psychique en analyse, dans la cure-type et dans ses variantes, dont la relation en face à face.
4. L’implication de l’analyste dans le processus
La centration des réflexions contemporaines sur les fonctionnements limites et psychotiques ont mis en lumière la clinique du vide chez le patient de sorte que le silence de l’analyste ne peut être que stérile surtout s’il s’agit d’une première analyse ou d’une psychothérapie. L’analyste est confronté au double risque d’un vécu d’intrusion ou d’abandon auquel il doit faire face dans une implication personnelle qui relève davantage de l’engagement à partir de ses perceptions contre-transférentielles que d’une technique. Tel est le cas dans le modèle du squiggle game selon Winnicott. Après le temps de la transitionnalité, de la “symbiose thérapeutique” (Searles), du co-fonctionnement associatif, vient idéalement celui de la différenciation intersubjective, de la prise en compte de la différence, autrement dit le temps de l’analyse du contre-transfert pour l’analyste et, pour le patient, le temps de l’élaboration psychique, de l’appropriation subjective de ce que produit en lui ce qui a été dit, en d’autres termes de la progressive subjectivation. L’usage du silence de l’analyste ne peut être que restreint et mesuré dans la bonne distance et des interventions de type psychothérapique sont souvent nécessaires. Les interventions de reliance des contenus morcelés, dissociés, visent au renforcement de l’activité psychique consciente et préconsciente de représentation et de symbolisation. Elles sont un temps antérieur à la possibilité même de l’interprétation, celle de l’accès à l’inconscient pulsionnel. Cette implication régrédiente et progrédiente de l’analyste requiert un travail préconscient ouvert à l’inconscient tel qu’il est en jeu dans la relation de transfert. Elle prend la forme de la transitionnalité en deçà du jeu de la projection et de l’introjection, de la ré-introjection des identifications projectives après élaboration symbolisante. L’implication de l’analyste passe par des temps de silence, d’investigation, de compréhension empathique et d’interprétation, mais aussi des temps de désimplication silencieuse ouvert à la réflexion et à la théorisation. Ce temps de distanciation de l’analyste est généralement envisagé comme élaboration du contre-transfert. Un temps qui n’est pas pris en compte dans “l’analyse mutuelle” ni dans les intersubjectivismes contemporains…
En résumé :
Le silence est, diversement, partie intégrante de la communication spécifiquement psychanalytique. Il rend possible l’élaboration psychique, mais celle-ci comporte, dans la pratique et dans la théorie, plusieurs modalités et plusieurs modèles, de la névrose aux fonctionnements psychiques non-névrotiques. La notion de perlaboration garde-t-elle un sens ou peut-elle être dissoute dans la notion plus globale de travail psychique ? Le silence de l’analyste et la perlaboration au sens strict, sont-ils exclus en cas de fonctionnement psychique non-névrotique caractérisé par le déni, le clivage, la projection, le silence de la réalité psychique dans la “vie opératoire”, la faillite de la représentation, et, au niveau psychotique, l’identification projective, l’abolition symbolique, la déliaison ? Que devient la notion de “perlaboration” dans le cadre large du “travail psychique”, notamment à deux ? Doit-elle être réservée à l’analyse dite classique comme modèle métapsychologique du changement structurel intrapsychique ? Il correspond au niveau de fonctionnement psychique de type névrotique, impliquant le jeu de la résistance et du retour du refoulé, la répétition, la remémoration et l’après-coup – donc la symbolisation. En d’autres termes, peut-on considérer que la notion de perlaboration, déjà prolongée par Freud en travail de deuil, a été relayée ou complétée par d’autres modèles théoriques de l’élaboration psychique : l’élaboration de la position dépressive, la subjectivation, le travail psychique en double, comme objet analytique ou comme tiers, la “chimère” dans une logique de couple. Peut-on parler de la perlaboration dans l’intersubjectivité et non plus seulement de celle, intrasubjective, du patient ? Faut-il distinguer le travail psychique commun et le temps de la perlaboration individuelle de part et d’autre de l’expérience interpsychique ?
On peut ne pas être d’accord avec J.-L. Donnet qui écrit en 2005 : « La perlaboration doit, me semble-t-il, garder son sens premier, la référence à un temps intrasubjectif, fondamentalement soustrait à l’influence consciente et même inconsciente de l’analyste. Certes, la perlaboration peut prendre en compte l’idée du travail en commun (sorte de perlaboration toujours préliminaire)…, mais pour (le patient), elle prend sa valeur fondamentale dans l’expérience radicalement singulière de sa propre réalité psychique… l’irremplaçable moment du silence introjectif. »
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