[restrict]Colloque Rencontres de la SPP, les 12 et 13 mars 2022
Argument : Le sexuel infantile dans la dynamique processuelle
L'argument nous le rappelle, on ne peut que constater l'insistance avec laquelle le sexuel infantile revient dans les préoccupations théorico-cliniques au sein des activités scientifiques organisées entre autres par la SPP au cours de ces quinze dernières années
Répétition inhérente à la nature même d'un sexuel infantile toujours en recherche d'une voie active, d'une dérobade, ou d'une issue représentative, et toujours à l'oeuvre dans les processus-même de théorisation.
Insistance, sorte de « forget me not », au regard des théories au sein desquelles la sexualité infantile ne serait plus, comme le dit Jacques André, « qu'une référence parmi d'autres , éventuellement non sollicitée. »,[1] délaissée au profit des théories de la relation d'objet, parce que dans certaines cliniques l'enjeu vital et narcissique l'emporterait sur celui des investissements.
Insistance justifiée enfin si l'on se souvient que les Rencontres de 2020 qui proposaient le thème de la sexualité parlée dans la séance, ont été mises en latence du fait du confinement , reportés en 2021, et que celles-ci, malgré leur vivance intellectuelle, furent quelque peu désincarnées… Se retrouver « en chair et en os » pour ces journées scientifiques ne peuvent que raviver les sources autoérotiques du plaisir de penser ensemble. Et rappeler l'importance de la présence des corps sur la scène de la cure de parole.
« L'invention » ( et pourquoi pas trouvaille ?) de la sexualité infantile est avant tout issue de l'auto-analyse de Freud, et de l'analyse de ses premiers patients. Elle est le résultat du renoncement à la neurotica. Le traumatisme psychique mis en évidence dans l'hystérie n'est plus rattaché au réinvestissement d'un souvenir réel, un événement de la séduction de l'enfant par l'adulte Il est issu d'une activité psychique infantile : autoérotique, elle s'étaie sur les premières satisfactions préobjectales (la tétée) où s'articulent autoconservation et rencontre avec l'excitation du sexuel maternel. La discontinuité de la présence de l'objet et de la satisfaction est à la source de la constitution du fantasme et de ce qu'il trace des investissements hallucinatoires. La sexualité infantile est donc bien interne à la psyché.
Si, dans les Trois Essais, Freud s'est tout d'abord attaché à en définir les grands traits, c'est en tenant d'emblée un double fil : celui des manifestations de celle-ci dans la psyché infantile, et celui de sa permanence latente dans la psyché de l'adulte. « Il est clair que pour lui l'infantile n'est pas un territoire ni un temps révolu, c'est la présence toujours actuelle, au sein du psychisme de l'activité d'un commencement sexuel : un commencement sexuel qui est de donner un destin à la pulsionnalité »[2] (D.Suchet). La sexualité infantile devient donc le lieu des transformations pulsionnelles.
C'est peu à peu que Freud va dégager plus spécifiquement deux courants dans le sexuel infantile : la sexualité infantile, présente pour qui veut la voir, à travers la trame autoérotique, les théories et concepts sexuels infantiles, les fantasmes oedipiens et l'évolution maturante conduisant à l'intégration des pulsions partielles ; et une force qui lui est opposée, « part secrète », indomptée témoin de l'inélaborable des traces traumatiques. Ainsi le mot « sexuel infantile » qui désigne parfois l'ensemble de la psychosexualité infantile, désigne aussi ce reste inélaboré, fauteur de trouble.
Si ce concept a disparu relativement vite de la théorisation freudienne, c'est sans doute au profit de la nouvelle théorisation des pulsions et la conceptualisation du Surmoi.. Pour autant, les mouvements mobilisés dans la construction de l'objet et du moi inscrivent bien la dynamique pulsionnelle dans son double versant , pulsions libidinale et pulsions de mort, au sein même de la sexualité infantile.
L'argument nous convie à poursuivre la réflexion sur ses modes de manifestation dans la cure. Comment la scène analytique lui permet-elle de se déployer de prendre forme et s'incarner (car il s'agit bien de cela) dans le fantasme, le rêve, de se prêter à l'écoute, et quelle écoute. Cela pourrait s'apparenter à un jeu sans fin tant le sexuel infantile peut apparaître comme un petit démon, que l'on cherche là où il n'est pas, qui apparaît là où on ne l'attend pas, et qui a le pouvoir de rendre toute inscription réversible, effacée, non advenue.
L'image du « petit démon » entraîne celle du jeu infantile, et du plaisir: le sexuel infantile serait avant tout un mouvement qui témoignerait ainsi de sa vitalité dans toutes ses formes d'apparition. Un mouvement dont la mise en forme serait malgré tout nécessaire lorsque l'excitation l'emporte de manière délétère. Car ce petit démon pourrait en cacher un autre, le grand démon pulsionnel, anarchique et démoniaque et sa valence traumatique. Il est vrai que lorsqu'on parcoure la littérature consacrée à ce sujet on est frappé par la contradiction entre l'évocation d'un phénomène latéral «un événement fugace, un horizon lointain , une attente» , comme le suggérait Françoise.Coblence (cf l'Argument), et la violence de son pouvoir désorganisateur sur la fonction analytique.
Ce qui laisse supposer que cette essence traumatique prend sa source dans les relations primaires, dans une rencontre objectale à la fois trop excitante par ses messages sexuels inconscients, et trop peu disponible pour accueillir et transformer l'inorganisation érotique infantile.
Une défaillance cumulative inscrite dans la durée, pouvant entraîner « une déformation du moi », des contre- investissements majeurs et des modes de décharge particuliers, qui s'inscrivent malgré tout partiellement dans la sexualité infantile.
L'argument des précédentes Rencontres rappelait ce passage de Névrose, psychose et perversion : « Il sera possible au moi d’éviter la rupture de tel ou tel côté en se déformant lui-même, en acceptant de faire amende de son unité, éventuellement même en se morcelant ou en se crevassant….. De la sorte, on mettrait les inconséquences, les extravagances et les folies des hommes sous le même jour que leurs perversions sexuelles, dont l’adoption leur épargne bien des refoulements ». [3]
Et le commentaire suivait: extravagances et folies – donc ni névrose, ni psychose ni perversion exclusives ...Le moi éviterait ainsi la rupture au prix de clivages labiles, fonctionnels, utilisant les jeux combinés du refoulement, du déni et de la censure, accompagnés au plan manifeste et dans des proportions diverses par le symptôme, la perversion et le refus du deuil. Mais à chacune de ces possibilités un dénominateur commun, le polymorphisme pervers de la sexualité infantile.
C'est de cette dispersion qu'hérite le sexuel infantile, et peut-être aussi sa théorisation, à l'image d'un corps érogène non unifié.
Son mode d'expression, marqué par la défaillance de la fonction spéculaire et transformatrice des premiers objets, s'actualise dans le processus de la cure au sein d'une parole régressée, infiltrée de processus primaires : identification projective active, animisme de la pensée, vécu d'étrangeté du côté de l'analyste comme du patient
Au discours s'associent des d'affects spécifiques : nostalgie , culpabilité, honte témoignant des premiers lien objectaux
L'exigence de représentation emprunte les voies des processus de condensation, déplacement, propre au rêve mais aussi la dramatisation, au carrefour du rêve et de l'agir
Autres voies empruntées : l'idée incidente « einfull », les mots aiguillages, le transfert latéral, les souvenirs couverture
Cette énumération fait penser à l'existence d'un double étranger familier qui viendrait se glisser dans toutes les opérations psychiques de la cure du côté du patient comme du côté de l'analyste en qui serait convoqué son propre sexuel infantile
La plupart de ces formes émergentes seront richement illustrées par les situations cliniques qui seront présentées mais je voudrais m'attarder plus particulièrement sur le processus de dramatisation au sens que Freud lui prête dans son article « Du rêve. »[4] et que E.Chervet a longuement développé[5] . D.Suchet en fait un processus spécifique de représentation au sein du sexuel infantile, en l'associant à l'affect de nostalgie. Ce qui nous intéresse, c'est que la dramatisation, quelque soit la scène utilisée (transfert latéral, souvenir..) se situe dans l'espace de la séance au carrefour du rêve et de l'agir.
Dans l'article « Du rêve » la dramatisation est abordée aux côtés du déplacement et de la condensation, en tant que mécanisme du travail du rêve participant à la représentation du désir inconscient. La figurabilité s'enrichit d'une scène entre des protagonistes. qui pourrait à la fois figurer le fantasme (elle serait même pour Emmanuelle Chervet constitutive du fantasme), une scène qui se joue dans le rêve mais aussi se répète dans le transfert.…..Contrairement au déplacement et à la condensation, la dramatisation ne déguise pas : c'est l'offre d'une situation, d'un scénario, qui permet de traduire une pensée en action, qui permet aussi une présentation des enjeux identificatoires inconscients. Dominique Suchet souligne aussi qu'elle constitue un point d'ancrage à la régressivité, et un minimum de liaison pulsionnelle (le plaisir du jeu?). On pourrait parler d'une scène jouée mais en quête d'auteur, en quête d'une réappropriation subjective.
Présente dans l'hallucinatoire du rêve, son expression peut prendre une forme agie au sein de la cure :agir de cadre ou agir de parole, en prêtant alors à celui-ci une valeur de représentance.
Comme l'énonce J.L Donnet, le site analytique propose de fait deux modes d'accès à la réalité psychique inconsciente, deux scènes, l'une intrapsychique l'autre intersubjective :« l'une, prolongeant le registre remémoratif, travaille sur la liaison des représentations de mots et des représentations de choses, à travers la régrédience du penser ; l'autre passe par la scénarisation dialoguante de l'expérience du transfert agi. »[6]
Toute parole analytique profite de cette double scène, Tout fantasme inconscient peut donc se manifester sur l'une ou l'autre de ces deux voies.
Le terme « scénarisation dialoguante » , est particulièrement évocateur car il condense la scène psychique, la scène jouée et la parole du patient ; celle-ci perd sa dimension réflexive pour acter une idée (en lien avec le fantasme inconscient?) qui se transforme en une situation au service de la réalisation d'un désir dont le parfum d'omnipotence recouvre souvent un élément traumatique.
Ce deuxième espace scénique est toujours là , toujours potentiellement susceptible d'être investi. Le transfert sert en quelque sorte deux maîtres, celui de la remémoration et celui de la répétition, et le sexuel infantile joue la duplicité, entre excitation et représentation .
Emmanuelle Chervet souligne à juste titre la difficulté de joindre par une opération psychique ces deux modes d'accès à la vie inconsciente, ces deux scènes qui perdent parfois leur capacité oscillatoire et demeurent durablement clivées.. Et ce d'autant plus que la scène de l'agir peut se déployer hors du cabinet, dans des investissements, ou contre investissements latéraux. Un clivage qui n'est pas sans convoquer l'inquiétante étrangeté chez l'analyste.
Comment relier les scènes ?
Comment concevoir un espace analytique élargi , à l'image de l'espace psychique que le patient nous propose , un espace d'écoute au sein duquel le détour par la réalité peut s'entendre comme support de la mise en représentation ?
Tant il est vrai que de telles manifestations sollicitent tout particulièrement la potentialité transitionnelle du cadre et la capacité de l'analyste à demeurer gardien du jeu analytique.
L'argument des dernières rencontres s'achevait sur une interrogation : Si l'élaboration du contre-transfert et l’interprétation sont des facteurs fondamentaux de la transformation du sexuel « brut » , la référence au corps, l'implication du temps et de l'espace « posent une autre question non moins essentielle :celle du cadre le plus adéquat pour faire parler le sexuel ? face à face ? divan ?
Le face à face serait-il suffisant ? Le divan trop risqué ? »
Cette question mérite d'être reposée, pas tant pout y répondre que pour souligner à quel point la réflexivité autoérotique attendue peut être tributaire de la perception de l'environnement et des mouvements contretransférentiels de l'analyste les plus inconscients. La modification du site, rappelle Green dans L'analyste, la symbolisation et l'absence, n'est valable que dans la mesure ou elle constitue un environnement facilitateur de l'accès à la symbolisation, et se justifie lorsque le cadre [7]classique de la cure, qu'il assimile au corps silencieux de la santé , ce cadre silencieusement érogène, se charge d'une excitabilité désorganisante..
Les présentations cliniques de ces journées concernent deux patients qui ont déjà eu des expériences analytiques . Nous verrons combien la manière dont le nouveau cadre leur sera proposé permettra aux analystes de maintenir ou recrée cette potentialité transitionnelle, et rétablir la circulation entre l'agir et le rêve.
Le destin du sexuel infantile : un destin tragique ?
Dominique Suchet conclut son rapport sur le sexuel infantile en évoquant le ou les destin(s) de celui-ci: après avoir mentionné l'article de Freud sur le clivage comme stratégie de survie, , elle écrit : « le destin du sexuel infantile est une question pour le refoulement . Il se joue dans un va et vient habituel entre déni et reconnaissance . Cette dépense pour maintenir l'écart entre le sexuel infantile lié au déni et la sexualité infantile inscrite dans les processus de transformation et de refoulement est-elle le prix que la psyché doit payer pour sa vie ? Et quels processus psychiques a-t-elle a disposition pour cela ?
D.S.propose alors la scène de la dramatisation assortie de l'affect de nostalgie : « éprouvé de perte qui maintient l'absence de l'objet mais n'investit pas sa présence et ne cherche pas satisfaction dans le déplacement : quantum d'affect en attente de qualification .
C'est ce qui lui permet de conclure sur l'idée que le sexuel infantile est un royaume intermédiaire , un espace de transformation et de jeu qui double toutes les activités psychiques, et serait comparable à une énergie déplaçable.
Mais qu'est ce que le destin ? Dans La guerre de Troie n'aura pas lieu, Andromaque pose la question à Cassandre, qui lui répond : c'est simplement la forme accélérée du temps. C'est épouvantable.
Le sexuel infantile se tiendrait ainsi en marge de l'inscription du temps, de la différence des sexes, des générations, de l'assignation aux zones érogènes, de la sexualité et de la mort.
Dernière question, qui aurait pu être la première : dans la séance, qu’est-ce qui intéresse le travail de l’analyste et ne ressortit pas à la sexualité infantile? Qu'est ce qui peut être dans la séance , sans être expression ou défense contre l'expression de la sexualité infantile?
Rien, répondrait Jacques André. »Le psychanalyste , qu'il théorise ou q'il pratique, ne dispose pas d'un lieu asexuel. »[8]. Rappelant que la règle fondamentale séductrice invite la pensée de l'analysant à l'autoérotisme, il poursuit : même si le setting a parfois une valeur interprétante lorsqu'il constitue une fiabilité jusqu'alors inconnue du patient, « peut-on isoler un environnement soumis au seul besoin .. et se satisfaire de l'opposition désormais classique entre désir et besoin ? .. et de conclure que la question de la sexualité infantile se satisfait mal d'une réponse...
[1] André J. , Dreyfus-Asseo S. (2007) . La sexualité infantile de la psychanalyse, Paris, PUF.
[2] Suchet D. Un commencement sexuel. CPLF. (2015) . RFP t.LXXIX - 5
[3] Freud S. ( 1924), Névrose et psychose, Névrose psychose et perversion , paris , PUF, 1973
[4] Freud S. (1901) du Rêve, OCF-P, V, Paris PUF 2012
[5] Chervet E. (2015) Réflexions sur la dramatisation, CPLF,. RFP t.LXXIX - 5
[6] Donnet J.L. (2915) La plume de ma mère, CPLF,. RFP t.LXXIX – 5
[7] Green A. (1974 ) L'analyste, la symbolisation et l'absence dans le cadre analytique , in La folie privée Paris Gallimard
[8] André J,, Dreyfus-Asseo S., ibid
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