[restrict]Rencontres SPP 2022
Discussion du texte d'Amélie de Cazanove « Perdre connaissance dans le transfert » par Jean-Baptiste Dethieux
Je remercie beaucoup les organisateurs de ces rencontres de m’avoir permis de discuter la clinique d’Amélie de Casanove si riche dans ses aspects explicites et implicites en regard de la question qui nous occupe aujourd’hui.
1/ En préambule, voici quelques éléments théorico-cliniques concernant le thème de ces Rencontres, le sexuel infantile dans la cure, tel que je le conçois en regard de cette présentation clinique.
Je distinguerai deux cas de figure pour les besoins de mon propos :
D’une part, un sexuel infantile dit « en attente ».
D’autre part, un sexuel infantile mis « en embargo », en quelque sorte.
Comme l’on sait, la séance est une zone érogène (De M’Uzan, 2003). C’est dire que la séance sans le sexuel infantile est peut-être loin de la dite zone érogène. Mais la question première est celle-ci : S’agit-il ici d’un sexuel infantile qui ne demande qu’à être « parlé » en séance ou bien « empêché » de l’être ?
La sexualité infantile ne naît pas de novo mais s’inscrit dans une rencontre avec l’objet. Parlant d’éveil des zones érogènes et relativement à la « théorie de la séduction généralisée » (Laplanche, 1987), ce sont les messages énigmatiques adressés par la mère qui sont impliqués et le sein nourricier n’en est pas moins un sein érotique. La « séduction originaire généralisée » suppose l’action de l’inconscient maternel qui émet des signifiants énigmatiques verbaux et non verbaux véhiculant des contenus sexuels inconscients. Une mère est aussi une mère excitante mais qui autorise le recours à un « pare-excitation » à travers la « censure de l’amante » comme le proposent D. Braunschweig et M. Fain (1971). Ainsi, le surcroît d’excitation va se résoudre grâce à la sollicitation du « pare-excitation » maternel soutenant la trajectoire de l’excitation à la pulsion.
-Dans le premier cas de figure d’un sexuel infantile dit « en attente », c’est bien l’excitation qui peut mobiliser le sexuel infantile via le détour par la pensée de l’analyste dès lors qu’elle se fait donc, à part égale, accueillante et pare-excitante.
Une dynamique à l’œuvre se met en place et promeut l’émergence du sexuel infantile dans un rapport à l’objet afin de constituer un couple pulsion-objet qu’autorise la mise en situation de l’analyste avec l’analysant. L’objet en question est celui par lequel le plaisir advient quand bien même la douleur est première comme l’énonce C. Seulin dans son rapport pour le CPLF de 2015.
-Mais qu’en est-il dans le second cas d’un sexuel infantile dit « en embargo » ?
Je rappelle qu’un embargo est une mesure administrative, un moyen de pression politique empêchant l’exportation d’une marchandise, la libre circulation d’un ou de plusieurs biens. L’embargo toucherait ici un sexuel infantile « empêché de circulation » au sein de la psyché.
Autant, auparavant, c’est le dispositif analytique, de par les conditions réunies, qui mobilisait le sexuel infantile, autant, ici, il ne pourra s’agir que de contenir, de soutenir un processus de subjectivation avec l’idée d’une tentative de construction, de reconstruction d’une psycho-sexualité infantile. L’excitation n’aboutit pas jusqu’à sa finalité du côté d’une pulsionalisation déplacée sur un objet de transfert afin de rejouer l’infantile mais, plus modestement, se présente telle qu’elle, autorisant une redistribution de ses composantes. Ici, comme l’énonce E. Chervet : « la difficulté de figuration et de déplacement rend justement difficile cette référence, et très laborieux les processus d’investissement ; je dirais plutôt que la sexualisation infantile manque, qu’elle est à construire » (2008).
Le sexuel infantile peut alors advenir dans une version beaucoup plus chaotique, non dénuée d’une valence traumatique ; advenue autorisée par un travail de tissage et de co-construction par le détour par la pensée de l’analyste. Comme le propose encore E. Chervet (2008), il est question d’une « sexualisation diffuse dont le destin dans la cure serait de pouvoir se figurer peu à peu, ce qui rend compte de la difficulté de traiter l’excitation, et de la présence pulsionnelle explosive sous l’immobilisation du marasme représentatif ».
2/ Venons-en, à présent, à la discussion de cette riche présentation d’Amélie de Casanove.
Il s’agit donc de l’histoire d’un petit garçon devenu grand et qui n’a pas réglé malgré ses 14 ans « d’analyse » précédente un certain nombre de questions fondamentales dans l’ombre de son passé et, en particulier, de ses parents. Mais était-ce une véritable analyse ? Puisqu’il demande en contre-point à notre collègue une « vraie analyse » pour reprendre ses mots.
Cet homme déroule tout un matériel inscrit dans une configuration œdipienne qui, avec facilité, tout d’abord, paraît s’inscrire dans le fil de la relation transférentielle, « d’autant qu’il évite le transfert négatif ». C’est, en tout cas, ce qui apparaît mais, peut-être, est-ce un « trompe-l’œil » qu’il mobilise pour mieux masquer les failles narcissiques qui l’occupent. L’évitement est de mise. Il s’agit bien d’éviter ce qui pourrait fâcher l’analyste et, quoi qu’il arrive, le spectacle continue.
Le patient d’A de C. reste « dans les coulisses » et donc en quelque sorte sous le lit de ses parents. Rien ne lui échappe mais il n’affronte pas véritablement la scène. C’est un « homme de l’ombre » qui tire ou voudrait sûrement tirer les ficelles mais n’a pas la joie d’être à la place de ceux qu’il sert de son talent et n’est donc jamais sous les projecteurs. Que d’ambivalence !
De-même, il sera le témoin de la réussite flamboyante de ses parents. Il continue de rester dans l’ombre, leur ombre, et il est un exclu de principe et, de fait, de la scène primitive.
La curiosité sexuelle infantile l’anime et mobilise ses investissements et il pourra, somme toute, donner le sentiment de déployer dans le champ de la cure tout le sexuel infantile qui ne demande qu’à se dire. Mais, d’emblée, A de C. nous dit bien que la question est aussi celle de trouver sa place dans la fratrie, autre couple en parallèle…
Serions-nous ici dans ce premier cas de figure, celui d’un sexuel infantile en attente et qui peut alors s’inviter dans la cure ?
Besoin, désir et jouissance seraient ainsi convoqués dans un mouvement d’attraction que permettrait le travail contre-transférentiel chez l’analyste qui, elle, arrive avec son bagage, ouvrant sur une mise en résonance entre deux, depuis les fantasmes originaires jusqu’à la pointe évolutive œdipienne qui les organise.
Il faut pour que se mobilise le fantasme, nous dit E. Chervet (2015), une formation en après-coup à partir des traces de l’entendu et des perceptions du sexuel parental. La condition première de la représentation est la rencontre avec l’objet, la pulsion se construisant au contact de celui-ci.
Ici, le passage de l’excitation à la pulsion s’embarque dans une destinée qui sera de nourrir le transfert, convoquant l’éventail des fantasmes originaires jusqu’à la construction d’une scène primitive dans une configuration œdipienne et ce, dans le meilleur des cas. Le sexuel infantile peut se loger, trouver une place dans l’histoire du sujet.
Cependant, cette retenue chez A de C., cette « précaution intuitive » qui la conduit à ne proposer, dans un premier temps, que deux séances sur le divan en lien avec cette notion de séduction, d’emblée présente, ne serait-elle pas également l’indice d’une perception encore confuse d’éléments s’inscrivant dans un sexuel alors traumatique ?
Fort heureusement, « Madame éthique », figure orthodoxe comme assignée par le patient à A de C., veille…
Le patient s’étonne de vivre transférentiellement - c’est, en tout cas, ce qu’il en perçoit - le rapport à une figure non pas maternelle mais plutôt paternelle. Il fait porter le « costume de Papa » à l’analyste qui aussitôt répond avec un « papa-maman donc ». Ainsi, A de C. convoque une hypothétique scène primitive qui peut faire rempart à la confrontation à une imago maternelle ou paternelle toute puissante.
Poursuivons sur le récit clinique.
Le jeu autour de la troisième séance dans le paradoxe d’une absence annoncée pour des congés marquera un changement de ton, lourd de conséquences. Camille doit manquer des séances qu’il ne manquera finalement pas ! Comme dans une « absence-présence »... Il va, d’ailleurs, en peu de temps mourir et ressusciter avec la découverte de cette leucémie - une mort annoncée - mais qui, fort heureusement, se traite très bien. C’est une renaissance effective.
A de C. oublie en « négatif » son patient, en quelque sorte. En effet, elle oublie qu’il ne sera pas là et l’attend comme elle le lui avait dit avec un « léger agacement ». Elle oublie de l’oublier et prête à Camille sa psyché avec le recours à une « structure encadrante », avec la présence-absence d’un objet primaire fiable.
C’est à ce moment-là que se fait le passage à trois séances. L’on peut s’interroger à propos d’une éventuelle corrélation entre cette proposition d’un passage à trois séances et la « mise en scène » de cette somatisation. Bien entendu, il n’est pas question d’articuler aussi étroitement la mise en place effective des trois séances et le déclenchement de cette leucémie dont on sait bien le temps de latence nécessaire à son apparition mais, quoi qu’il en soit, elle s’inscrit dans le matériel de la cure à ce moment précis.
Qu’en penser ? C’est toute la question suscitée par l’émergence d’une somatisation grave au cours d’une cure et de son « destin » dans le déroulement de celle-ci.
L’on note alors un changement de registre évident chez le patient avec un surcroît d’excitation. Peut-on se questionner sur la prédominance d’un transfert d’excitation au détriment d’un transfert d’objet ?
Y a-t-il encore une pulsionnalisation possible ? Ou, sinon, plutôt donc un engorgement par un sexuel traumatique qui ne peut s’élaborer en sexuel infantile et qui, en outre, convoque un actuel envahissant précédé de l’occurrence d’une désorganisation progressive dont la traduction directe était jusqu’alors non visible. Ce serait donc les résidus d’un sexuel infantile en « embargo » qui seraient concernés avec l’enjeu de border l’excitation et de rendre le trauma pensable ce, afin qu’il puisse aller à la rencontre d’un objet contenant plus que d’un objet de transfert par déplacement, tout au moins au début.
Le changement de ton est manifeste, disais-je. A de C. souligne la dimension mortifère et traumatique. Elle perçoit immédiatement la différence du territoire psychique dans lequel elle s’embarque. Un danger de mort plane, nous dit-elle. Elle convoque Hitchcock comme pour tenter d’échapper à une histoire sans histoire, à la possibilité d’un « travail en double » (Botella, 2001) qui court probablement, derrière le fil de la dynamique transféro contre-transférentielle ce, afin d’interroger le lien si litigieux à l’objet primaire, sous couvert de transfert paternel. Chez le réalisateur, comme l’on sait, le fil narratif permet de mettre au travail des angoisses parfois très archaïques mais toujours sous l’égide d’une organisation névrotique et d’une culpabilité post-œdipienne. Même combat, peut-être chez Camille dont on voit l’investissement massif de la personne d’A de C., support d’un transfert de base si rapidement établi et de toutes ses déclinaisons. « Il s’est accroché à la phrase que je lui ai dite, que je l’attendrai malgré son absence signifiée », nous confie-t-elle.
-Lorsqu’il est question d’un sexuel traumatique, quelles sont les modalités de son retour : retour du clivé plutôt que levée du refoulement, rendu possible par l’articulation avec une sexualisation certes précaire et ce, selon plusieurs modalités. Ainsi, la convocation d’une valence masochiste ?
Mais pourrait-on d’abord penser à un patho-masochisme au sens de Cl. Smadja (2001) ? L’organe ou la maladie somatique semble érotisés jusqu’à la mise en place possible d’un masochisme réintriqué qui permet la libidinisation de la pulsion mortifère.
Dans la suite, c’est un masochisme plus organisé qui peut se mobiliser pour, enfin, toucher la figure de son frère. Aurait-il pu le tuer de frayeur, car médecin, et recevant en première ligne ses résultats médicaux ?
Battre, voire tuer un enfant devient enfin possible, au niveau fantasmatique (Freud, 1919) avec la question d’un masochisme alors « gardien de la vie » selon Rosenberg (1992). Le troisième volet du fantasme serait dans ce cas : le fils souhaite que son père batte son fils aîné.
Après quoi, la rivalité fraternelle pourra véritablement se déployer. Autrement dit, nous assisterions à la réélaboration d’une défense narcissique qui, se sexualisant, permettrait une représentation psychique, certes balbutiante. Autant, jusqu’alors, le frère est tenu à l’écart ; autant, il va occuper maintenant le terrain et devenir un protagoniste. Le frère absent comme le père est ramené afin de pouvoir être attaqué. La leucémie peut tuer son frère plutôt que lui !
Freud relie désir de mort à l’encontre du rival fraternel, complexe d’œdipe et perte de l’objet primaire. Le frère est, tout d’abord, le non-Moi, le tenant d’une altérité absolue mais aussi cet alter ego si familier, ce représentant d’un double à construire (Kamienak, Bourdellon, 2008). C’est l’objet de l’objet maternel si familier et si différent, l’objet du désir maternel et parental, ici, particulièrement. La rivalité s’exerçant se trouve ici bien plus dangereuse qu’avec les « très grands », concernant alors le champ de l’angoisse de castration. Elle est, en effet, plus menaçante pour l’identité, engageant l’existence même du sujet, comme le rappelle Ch. Lechartier-Atlan (2008).
Mais l’on peut supposer que chez Camille, la question de l’homosexualité fraternelle dans une dimension secondaire a été mise en défaut, qu’elle n’a pas joué son rôle de défense contre la perception de la différence des sexes et du conflit œdipien rendant nécessaire le recours à des défenses psychiques plus radicales. Ce patient semble avoir occupé continûment une place de l’ombre et des coulisses comme pour préserver son frère, seul garant du lien aux parents, sur la scène, le préserver ou bien ne pas s’y confronter et perdre alors le lien aux figures parentales. Cette configuration va donc être emmenée à se modifier.
La figure du frère aîné a-t-elle été l’obstacle majeur, barrant l’accès à toutes velléités de conquête œdipienne autant sur le versant d’un œdipe positif que négatif ? C’est pourtant l’accès à l’Œdipe qui pourrait introduire une modification des liens fraternels « auxquels pourraient alors correspondre les idéaux d’égalité et de fraternité » (Kamienak, Bourdellon, 2008). Quadrature du cercle… Ainsi, s’établirait au sein de la fratrie « un contrat familial basé sur les interdits de meurtre et d’inceste » (Ibid.). Autant d’éléments qui ne semblent pas avoir pu se mobiliser dans la trajectoire de Camille et qui tirent bénéfice du recours à une « dramatisation ». Le couple narcissique rivé autour de l’obstacle et du reflet passe cependant la main, grâce au travail analytique, au couple œdipien avec amour et haine. L’intrus absolu se fait rival.
Camille se montre revendiquant : « il n’a pas eu sa part » y compris cette part d’abus maternel dont son frère aîné aurait été victime. Très judicieusement A de C. intervient. « Etre épargné de l’abus, mais le désirer aussi », énonce-t-elle, soutenant ainsi la grande ambivalence d’un enfant-patient qui réclame et craint l’abus… de pouvoir de la part de sa mère, de son père ou bien de l’analyste.
Et la rivalité bat son plein chez Camille avec un déplacement à l’œuvre sur la personne de l’associé dont il était le plus proche… « comme un frère ». Le rêve rapporté par A de C. à propos des associés qui plaisantent sur la taille de leur sexe-tuyau d’arrosage est assez éloquent. A noter, l’absence de mesures avec le pénis du frère…
La haine est à son comble. A de C. évoque un relâchement de ses défenses, une haine toujours présente mais pas constamment manifeste. Rivalité qui trouvera également son expression dans la référence jalouse à ces autres… frères et sœurs de divan.
Mais le rapport au frère n’est-il pas « utilisé » par Camille comme un recours psychique, certes précaire, un rempart contre la haine ? Derrière le frère se tiendrait le père.
À partir de là, toute adresse faite au frère pourrait être entendue comme celle faite au père, s’agissant d’éviter de mobiliser haine et violence à tout prix et d’affronter ce dernier. Un dispositif de poupées russes rendrait d’abord visible la figure du frère, « protégeant » celle du père qui, lui-même, contiendrait celle de la mère.
La mort du père autant redoutée qu’ardemment désirée peut nous renvoyer au texte de Freud, Dostoïevski et la mise à mort du père, (1927).
Chez l’enfant parricide, la pulsion érotique tournée vers le père ne se désexualise pas, et au lieu de suivre le chemin tracé vers le refoulement et la sublimation, régresse à un stade pré-génital et en particulier jusqu’à des fixations anales. En parallèle, la mère reste investie en tant qu’objet primaire tout puissant avec lequel l’enfant maintient un lien de nature orale, fusionnel. Autres poupées russes donc… Un sexuel infantile « en attente » contenant cet autre sexuel infantile « en embargo ». Deux versants, deux versions qui trouvent leurs places dans le matériel clinique aujourd’hui présenté par A de C. Le parricide plonge dans les remous du narcissisme et relève du maintien aveugle d’une haine fondamentale alimentée par une identification au Moi-idéal du père tout-puissant.
Nous pourrions également aborder la trajectoire bien sinueuse de Camille entre culpabilité et honte et la mise en tension entre Surmoi-Idéal du Moi et Moi idéal.
Revenons au parricide. Parlant de figure tutélaire frappée par la mort, l’on peut être surpris par la mise à distance des affects chez Camille lorsqu’il rapporte cette funeste découverte, celle de la mort de son analyste. Peut-on comprendre son détachement comme une défense entre isolation et contre-investissement à la hauteur d’une culpabilité en lien avec des vœux de mort flirtant avec une honte relative à une rage narcissique l’habitant ? « Monsieur Toc » qui ne « peut plus le recevoir » et, pour cause, cède la place à « Madame Éthique ». Intervention vigoureuse et séductrice à la fois lorsque A de C. désigne, dès le début de la cure, le chemin qui les attendent. Mais encore une fois, il passe par le frère pour avoir les coordonnées d’une analyste. Froideur également manifeste à l’évocation de la mort de son père. Froideur recouvrant une violence fondamentale que Camille ne peut exprimer à l’égard de celui-ci. Pas question de pouvoir, lui, tuer « Monsieur Toc ». Il est déjà mort ou, comme on le verra, donc, il va bientôt mourir…
Le vœu parricide semble, en tout cas, courir tout au long de cette cure débutante.
Et c’est précisément le fait de pouvoir occuper le lieu de l’analyse qui devient l’équivalent d’un acte parricide et le met à jour dans le même temps ! Camille à propos de son père énonce : « Parvenir ici c’est le plus grand pied de nez que je pouvais lui faire ». C’est donc un « droit de réponse » haineux auquel Camille s’autorise, un droit de réponse à ce père qui ne cessait de lui répondre, lui : « réfléchis fais un effort ! » aux questions enfantines qu’il lui posait. Cette haine mise à jour n’épargne pas, non plus, la mère dans la rencontre qu’il peut faire avec son inconscient, ce « mal pensant » qui semble agresser cette dernière.
-Quid de la possible représentation d’une scène primitive ?
« Les figurations qui tournent autour de la scène primitive masqueraient surtout l’absence d’organisation d’un fantasme inconscient de scène primitive, d’où la réversibilité et la perplexité de la pensée. », propose E. Chervet, (2015).
Est-ce bien le cas dans la cure que nous présente A de C. ? Il semblerait que oui. Le cadre de l’analyse consisterait alors, plus qu’à faire émerger la scène primitive du refoulement, à envisager cette séquence comme une matrice organisatrice qui se tissera, plus que jamais, dans le fil de la relation analyste-analysant. Tout l’enjeu réside-t-il ici dans le passage d’une scène primitive plongée dans l’homosexualité et déplacée sur le couple fraternel lorsque l’ainé plaque Camille au sol avec les genoux, alors « impuissant et sans force » à un fantasme engageant le couple parental sans que celui-ci ne soit trop mortifère ? Ce, avec la nécessité, non plus de rester dans l’ombre pour regarder avec curiosité de l’extérieur, mais de devoir surtout se garantir de ne rien voir. Passage autorisé ou facilité par le lien homosexuel fraternel et la mobilisation d’un masochisme intriqué. Amélie de C. nous le dit bien quand il est question d’une « figuration de l’absence de représentation du couple parental, presque comme une dénégation de l’Œdipe, où le frère occupe toutes les places », et sitôt après, nous parlant « d’une tentative d’organiser une scène primitive dont il est l’exclu », qui « offre une première lecture de son masochisme ».
Ce sexuel infantile non organisé, ce sexuel alors traumatique serait « pris en charge » et possiblement réélaboré par le recours à une construction génitalisée et ceci grâce à la capacité d’accueil psychique de l’analyste.
Le drame œdipien comme « attracteur » (Ody, 1990) permettrait de donner figure humaine à l’effroi traumatique, au sexuel infantile lorsque encore plongé dans l’excitation.
Un mot d’ordre : garder le cap en direction de l’œdipe sans pour autant méconnaitre le narcissisme et ses failles. Mais aussi et surtout, comme A de C. l’a bien noté, le recours à une figure masculine tierce qui renvoie au père et permet surtout de se protéger de « la fragilité de l’objet primaire et son impossibilité d’organiser la perte ». Cela contribue, nous dit-elle encore, à solliciter « une fonction anti-dépressive en face du manque de l’amour maternel » mais également anti-traumatique face à un excès d’excitation alors effractante.
-Sur la question du transfert/ contre-transfert, à nouveau, peut-on parler d’évitement en miroir avec une retenue sensible chez A de C. qui ne veut pas répondre à la séduction perçue chez ce patient ?
En écho et malgré cet investissement massif chez Camille, c’est le besoin de contrôle de la relation qui prédomine. Par ailleurs, les manières d’être et de faire de celui-ci - les « petites questions » d’enfant - seraient-elles comme autant d’indices d’une barrière défensive érigée en lien avec les théories sexuelles infantiles ? Camille joue à l’enfant en phase de latence dans le rappel de ses interrogations concernant la Terre, les voitures ou les sous-marins.
L’on pourrait interroger l’enjeu de cette intervention portant sur le colis « fragile » apporté et déposé par lui. Après quoi, Camille raconte comment il est sorti de sa passivité et a pu rosser son frère, la relation de haine s’établissant alors sur le terrain « sublimé » de la joute verbale et des débats d’idées. Mais ceci autorisant une rencontre : « nous nous reconnaissons mutuellement des territoires de connaissances », dit Camille. Se reconnait-il enfin dans le miroir qu’est son frère, un miroir magique mais fragile qu’il ne faut pas laisser dans la salle d’attente ?
C’est surtout l’évitement du transfert qui est en jeu chez le patient, comme le fait remarquer A de C. Tout rapproché dans une valence transférentielle maternelle s’inscrit dans une dimension incestuelle. « Ne nous soumet pas à la tentation », se rappelle Camille mais il sent bien qu’il s’en rapproche. Le catéchisme laisse des traces…
Pour autant, sa mère donne toujours le sentiment d’être « inaccessible » et c’est tant mieux ! Aujourd’hui, Camille est le messager, le « go-between » en anglais, donc « l’entre-deux », entre son frère aîné, le préféré et sa mère. L’ombre de l’abus de la part de cette dernière plane… Rester, elle, inaccessible et, lui, à sa place de messager est donc le gage d’être protégé de la réalisation du fantasme. Et le rôle de messager est toujours plus facile à jouer plutôt que celui d’exclu !
Le transfert paternel désigné par A de C. aurait-il une fonction défensive par rapport à un transfert maternel mais bien nécessaire pour autant ? Camille est le « cul entre deux chaises » ? Il s’agit pour lui, nous dit son analyste, de « s’épargner la confrontation à un transfert sur un maternel archaïque effrayant », par devers une figure maternelle apparemment génitalisée.
Tout cela devient plus délicat lorsque le père de Camille « perd connaissance dans le transfert »… et meurt.
Le télescopage entre le désir de parricide et la réalité du décès de son père le laisse sans tiers redoublé par la figure de son frère et face à sa mère. Je serais donc curieux de savoir la suite donnée dans le déroulé de la cure après la mort de ce père et s’il aborde les franges d’un transfert maternel tant redouté ?
-Pour terminer je dirais quelques mots de ce « malotru » qui passant de ce « mal au trou » (au risque d’être un peu lacanien), figure du règne de la pré-génitalité a pu devenir ce « mal poli » ou ce « mal pensant », cet inconscient qui bouscule sa mère mais se fait berceau d’un désir de sa part, peut-être finalement plus coupable qu’honteux.
Ce mot de « malotru » est une trouvaille issue de la rencontre avec l’analyse et l’analyste. Je ne sais si A de C. a « mis au travail » ce signifiant comme on peut jouer à la balle avec un enfant devenu grand ? Elle nous répondra peut-être.
Toujours est-il que ce mot fait référence à l'ancien français « mallotreux », variante de « malestru », du latin « male astrosus » (« mal né, né sous une mauvaise étoile »). Il renvoie également à « mal et astruc », « mal chanceux », en catalan.
Il porte, enfin, dans ses assonances, la figure de « l’intrus » à qui, peut-être, il s’agit de donner enfin une place.
Tel est le destin de Camille que d’être né à l’ombre de ses parents, étoiles montantes et de s’occuper, restant dans l’ombre, d’autres étoiles. Camille, affublé de ce prénom qui trahit de par sa mixité le désir parental d’avoir une fille. Camille, dont la naissance est un « « petit accident ». Camille, cet « homme de l’ombre » qui pourra, peu à peu, la quitter afin de se mettre un peu plus en lumière sans trop de danger, celui, notamment, d’une « surexposition » qui risquerait de le faire disparaître dans la mise à jour de son agressivité. Son analyse semble lui permettre cela et ce grâce au talent d’A de C. que je remercie beaucoup.
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