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ARGUMENT
Jean-Louis Baldacci
Le besoin de punition, écrit Freud en 1932 « est le pire ennemi de notre effort thérapeutique. Il est satisfait par la souffrance qui est liée à la névrose et p o u r cette raison, il est attaché à l'état de maladie. Il semble que ce facteur, le besoin de punition inconscient, participe à toute maladie névrotique » Mais cette généralisation ne concerne-t-telle que la névrose ? Dans une lettre à Thomas Mann du 29 novembre 1936, Freud prend le cas de Napoléon. Avec cet exemple, besoin de punir et auto-punition ouvrent un champ qui bien au-delà de la névrose, s’étend jusqu’au caractère et détermine des formes particulières de sado-masochisme.
Avant cette lettre, Freud a déjà exploré le lien entre caractère et besoin de punition, en particulier chez « ceux qui échouent du fait d’un succès ». A la suite de ce texte, il propose avec « les criminels par conscience de culpabilité », que la culpabilité antérieure à l’acte peut le déterminer. L’acte criminel ne correspond alors pas seulement à la recherche d’une satisfaction sadique passagère mais vise aussi l’apaisement durable de la punition.
Si la culpabilité peut préexister à l’acte criminel, c’est qu’elle n’est pas nécessairement liée à son exécution. L’intention criminelle seule peut suffire et Freud de poursuivre son exploration de la culpabilité en s’appuyant en particulier sur ces criminels par procuration que sont Hamlet et les frères Karamazov. Avec les frères Karamazov, la culpabilité fraternelle partagée devient spécifique du genre humain. Tous coupables ! Freud retrouve Totem et tabou, l’importance du lien fraternel et de ses avatars : tous les frères sont porteurs par identification du meurtre initial. La culpabilité se fait inconsciente mais nul ne peut y échapper, même pas les plus vertueux dont la rigueur ne fait que paradoxalement exacerber le besoin de punition. Pensons aux mortifications !
Ainsi le besoin inconscient de punition participant de « toute maladie névrotique » apparaît en référence à Dostoïevski profondément lié à la tentative de répéter et d’éviter le meurtre du père grâce à l’identification. Se pose la question de ce qui fait la variété des formes cliniques « de ces mêmes impulsions meurtrières », selon tout le spectre allant de de la paranoïa à la mélancolie, en passant par leurs atténuations perverses et névrotiques. Peut-être faudrait-il même y ajouter les attaques morcelantes du moi et mutilantes du corps, voire celles du soma rencontré dans certaines désorganisations somatiques ? Serait-ce les aléas du processus identificatoire dans la genèse du surmoi qui seraient déterminants ? Comme l’écrit Freud dans « Névrose et psychose », « le comportement du surmoi, contrairement à ce qui s’est passé jusqu’à présent, devrait être pris en considération dans toute maladie psychique ».
La question se pose alors de savoir comment éviter au besoin de punition de rester sous la domination exclusive d’un surmoi despotique et destructeur, de quitter l’actualité de l’agir et d’entrer dans l’univers imaginaire et sexuel du fantasme. Corollaire de cette question, serait-ce la fixation à l’objet qui altèrerait le processus identificatoire au cœur du fantasme au point d’imposer le recours à l’acte punitif ?
Plusieurs questions donc et d’autres à venir qui imposeront de nous recentrer sur la situation analytique, et de nous demander si le besoin de punition est bien « notre pire ennemi ». Certes il participe aux impasses rencontrées, aux analyses interminables, à la réaction thérapeutique négative, et aux différents agirs qui défont le processus analytique ou le menacent. Mais, n’est-il pas aussi un puissant allié qui, incontournable, permet d’accepter les contraintes de la cure et d’en chercher l’issue ?
Références bibliographiques
Freud S. (1916d/1985). Quelques types de caractères dégagés par le travail analytique. Dans L’inquiétante étrangeté : 146-168. Paris, Gallimard.
Freud S. (1919e/1996). « Un enfant est battu » : contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles. OCF.P, XV : 115-146. Paris, Puf.
Freud S. (1928b [1927] /1994) Dostoïevski et le mise à mort du père. OCF.P, XVIII : 205-225. Paris, Puf.
Freud S.(1924b [1923]/1973). Névrose et psychose. Dans Névrose, psychose et perversion : 283-286. Paris, Puf.
Freud S.(1933a), XXXIIé Leçon, Angoisse et vie pulsionnelle, OC, TXIX, Paris, Puf, 1995, p191
Jones E. [1957]. La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, tome III. Paris, Puf, [1969].
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