[restrict]RENCONTRES DE LA SPP — Paris, 1er et 2 juillet 2023
Hélène Casanova
« Je ne comprends pas mes réactions …je suis tombée amoureuse je n’ai aucun remord par rapport à mon mari …je l’aime mais je cloisonne ». Magali arrive avec ce constat à mon cabinet. Elle est troublée par son absence de culpabilité mais se dit que peut-être c’est le moment pour elle de changer de vie. Je partage aujourd’hui avec vous, le prologue foisonnant d’une histoire d’analyse commencée en avril 2022. L’analyse arrive à un moment de crise dans sa vie : elle a 55 ans, son corps change, ses enfants quittent la maison, sa mère vieillit… mal… et elle a rencontré Pierre.
Son mari l’aime inconditionnellement mais Pierre l’aime sensuellement, elle se sent désirable. Avec lui, elle retrouve la femme et le sensible en elle. Un conflit intrapsychique dont elle n’arrive pas à se sortir. Avec son mari il n’y a pas de tendresse comme avec sa mère d’ailleurs, il la ramène à ses liens d’identification à elle...la tendresse c’était son père, jusqu’à ses 10 ans. Il est mort il y a 10 ans. Elle ne l’a pas pleuré et n’a rien pu partager ni avec sa mère ni avec son frère, cadet de 2 ans. Elle dit de ses parents qu’ils n’étaient pas amoureux, ils se disputaient beaucoup. Sa mère est pour elle une femme froide, sèche, rejetante et seule. Elle doit l’aider mais ne le peut pas : « je ne peux pas la toucher, la prendre dans ses bras ». Dans sa vie les bras ont été ceux de sa tante, sœur de la mère, tendre, au corps accueillant, elle avait une forte poitrine contre laquelle c’était bon d’être.
Prendre dans les bras, être prise dans les bras…
« J’ai été mal aimée par ma mère, pour le décès de mon père elle ne m’a pas prise dans ses bras, elle m’a repoussée ».
Ce manque d’amour ressenti va être évoqué comme un vide puis un trou, une béance, quelque chose de pas advenu.
Être portée, tenue, soutenue, des sensations qui lui sont étrangères. Elle fait beaucoup de sport et dit trouver dans son corps musclé et les douleurs des entrainements une perception d’elle-même. La douleur comme un moyen d’investissement de son corps. Douleur qu’elle associera récemment aux soins maternels brusques qu’elle recherche dans ses relations intimes, un masochisme érogène intriquant.
En toile de fond de ces histoires avec ces hommes, un drame se dessine : le vieillissement de sa mère et le sien, ce qui les rapproche inexorablement.
Elles sont aussi unies par la vengeance contre les hommes, une mère malheureuse, déçue en amour, dans le regret d’un homme qu’elle n’a pas pu épouser car il n’était pas du même milieu. Elle n’a jamais cessé de penser à lui. Cette femme magnifique et tant désirée s’est retrouvée avec le père de ma patiente, ouvrier, un mariage par dépit. Magali dira que son mari d’une famille bourgeoise catholique cultivée l’a « élevée », elle a réussi pour sa mère mais aussi là où sa mère a échoué. Ce lien ambigu entre elles se révèle incestuel, au fil des séances apparait une adolescente aux multiples aventures « précoce sexuellement » et aux nombreux avortements accompagnés par la mère et avec la complicité d’un médecin…à 17 ans…à 19 ans et à 21 ans… tous les deux ans et toujours hors délais légal. Elle parle alors de ces évènements comme de moments « pas réfléchis ». Elle ne cessait de multiplier les relations. Une mère qui semble dans son discours avoir plutôt soutenu l’excitation et son maintien dans une sorte de revendication pulsionnelle féminine intense, une fille phallique. Un trop d’excitation traumatique dissimulé sous un froid glacial. Une excitation ravivée par le dispositif même de la cure qui actualise et propose une rencontre.
Jusqu’aux vacances d’été, elle amène des scènes d’investissement très clivées, comme elle avait très justement dit : elle cloisonne. Paul ne la rend pas jalouse, avec lui elle ne ressent rien, c’est un objet froid et distant. La rencontre avec un objet chaud est pour elle source de débordement, d’excitation, elle dit de passion, mais de menace de perte aussi.
La jalousie la ramène à l’enfance et à ce qu’elle pouvait éprouver pour son frère, une jalousie qui la rendait sadique, elle lui a fait beaucoup de mal …
Un frère qui la persécute. Face à lui, elle se sent privée et de fait manquante. Jalouse de son frère proche de la mère, désiré par la mère, de sa mère désirée par ce garçon, tendre et bonhomme.
« Ma mère regarde mon frère d’un air béat parce qu’il était sans malice, il était bonhomme »
Moi : « À croquer »
« oui, moi elle me regardait avec méfiance, elle me voyait comme une méchante compliquée »
La haine des hommes, des êtres méprisables, la rapproche de sa mère. Prise dans une commande inconsciente elle doit être comme elle : cruelle.
Je l’entends me parler de Paul comme sa mère pouvait parler de son père : un pauvre ouvrier sans finesse. Tout la dégoûte chez lui, son obsession à elle est de plaire, de séduire, de ne pas vieillir. L’ombre de sa mère se rapproche d’elle. Elle veut être désirée et que ce désir soit sans cesse renouvelé.
Elle devient à ses propres yeux une mante religieuse qui vide les hommes de leur énergie vitale. L’avidité est sans limite, c’est une bouche avide qui bouffe les hommes :
« C’est depuis toujours, à une époque j’avais deux ou trois hommes en même temps ».
Le recours au nombre, à la quantité, à la multiplication semble avoir une valeur anti-traumatique, une fonction de déni de la perception de la réalité traumatique endogène, celle de la castration qui nourrit une jalousie féroce. Une économie psychique dont la quantité d’excitation a pu à un moment m’amener à craindre pour elle une désorganisation plus sévère sur un versant somatique.
Son discours alterne entre l’évocation d’une puissance sexuelle et de séduction et le constat de ne pas avoir eu de tendresse, d’attention de sa mère. Un manque cruel, une blessure à vif.
Elle envie terriblement les enfants qu’elle perçoit aimés. Elle, elle est vide de cet amour maternel, vide d’éprouvés et dans un trop plein d’excitation. Une souffrance narcissique criante.
Adolescente elle lisait des romans à l’eau de rose, puis plus grande elle allait voir des films d’amour pour se sentir toute remplie d’émotion « comme si d’un coup j’étais avec moi ». Un besoin d’éprouver pour se subjectiver, de trouver la fantaisie dont elle est dépourvue pour se sentir exister comme la douleur à un autre niveau. Un besoin de transformer cette excitation en affect dans et par un processus narratif.
Dans les premiers temps de l’analyse, elle s’adressait à moi souvent de façon très directe. Une parole qui visait à me neutraliser, à me garder à distance. Peu à peu, elle semble me faire plus de place et laisser ma pensée se rapprocher d’elle. Dans un mouvement réflexif, elle se découvre cynique et de plus en plus dépressive.
Elle pense à l’arrivée de son frère, charismatique, à son sadisme à son égard et au sadisme de sa mère avec elle, elle pouvait la malmener et rire de sa fragilité et de ses réactions.
« Si je suis méchante et que je suis déçue je l'aurais mérité …être gentil c'est subir »
La déception en filigrane de cette haine, la rage du désespoir.
J’interviens en l’invitant fréquemment à évoquer ce qu’il en est pour elle, ce qu’elle ressent « et vous ? », « qu’est-ce que vous ressentez ? »
Un changement de régime économique semble s’opérer, quelque chose s’apaise alors en elle.
« En sortant de la séance je me suis surprise à penser tendrement à ma mère…je la prenais dans mes bras pour la bercer…elle vieillit on ne la regarde plus alors qu’elle était très belle »
Peu à peu il faut être entre femmes, avec sa mère avec qui elle envisage même d’aller vivre pour trouver la paix.
« Je suis comme Attila après moi rien ne survit »
Moi : Un homme guerrier et conquérant
« Enfant je me sentais comme un garçon. Ma mère aurait peut-être voulu un garçon …les garçons c'est mieux ils ont un côté cash…ils ont tous les droits. »
moi : ils ont tout
« Je suis méchante, mon frère il est gentil, en fait il est brave. Il n’est pas bête mais il est sans malice »
Attila, un guerrier sanguinaire, guidé par la haine et le désir de conquête. Ils ont peut-être tout mais elle reprend vite la main en étant maligne et en se moquant d'eux par malice, un fratricide.
Une sensibilité contre-transférentielle à la cause du frère et surement effrayée par cet Attila, oriente mon regard sur les hommes, les garçons, son frère : il est à croquer, je reconnais même qu’ils ont tout, à cela elle répond qu’elle est méchante et renforce son alliance à sa mère. Comme si elle vengeait sa mère de cette vie limitée qui lui a été imposée. Ce noyau de vengeance prend de plus en plus de place dans les séances, elle triomphe de ses hommes qui espèrent d’elle. Elle méprise Paul de la maintenir dans cette absence de perception sensuelle, liée dans le même temps par un pacte scellé avec sa mère, soumise aux projections d’une mère porteuse de cette haine et de ce rejet vis-à-vis d’elle-même, une identification mélancolique.
Elle arrive, s’installe sur le divan :
« Dans la salle d’attente, il y a une maman avec un bébé au sein, j’ai eu envie de téter. Ma mère, elle ne m’a pas allaitée, elle était sèche ».
Peut-être là une déception primaire ? Une femme/mère et la bouche avide de son bébé sur son sein, la perception d’un corps à corps d’une grande intensité pulsionnelle. Cette scène et l’envie qu’elle a réveillée mais aussi le manque, l’absence de cette première expérience de satisfaction éveillent des souvenirs …traumatiques.
« Quand j’étais étudiante je suis allée jeter les poubelles, il y avait un petit chat dans la poubelle qui miaulait, je ne l’ai pas pris… je me souviens aussi d’avoir vu un homme jeter un chat par sa fenêtre, il est mort. »
Des évocations terribles qui pourraient tout autant condenser son vécu infantile, cette absence d’un investissement narcissique primaire, un courant tendre qui n’a pas trouvé d’étayage et ses avortements répétés, l’expression de sa destructivité, de sa violence, l’Attila en elle, le meurtre.
La nuit suivante, un rêve vient restaurer en moi l’effraction produite par la violence de ses évocations. Ma patiente y apparait, en voici un fragment :
Elle est sur le divan, je suis derrière elle sur mon fauteuil. Elle me tend la main, c'est une main d'enfant, je la saisis puis je suis allongée sur le divan avec elle en chien de fusil. Dans ce rêve, ma fille va être très présente.
Ce rêve contre-transférentiel m’évoque la recherche de proximité en réaction à l’abandon maternelle, je prends le bébé chat dans la poubelle.
J’intensifie alors la tétée maternelle, un premier plaisir trouvé dans ce rapprochement corporel. Du manifeste repris dans ce songe, elle voudrait que je lui donne le sein et mobilise le désir en moi de lui donner. Un fantasme inconscient très primitif, une figuration onirique dans laquelle les courants tendres et sensuels sont aussi plus liés.
La position « en chien de fusil » amène un soubassement haineux qui va se dérouler par la suite.
Peut-être peut-on aussi y voir le fantasme qu’à nous 2 on est nantie. Ce ne serait pas une homosexualité qui dénie le sexe masculin mais plutôt « ensemble on l'a », dans un complément des corps comme avec Pierre qui la comble.
J’apprendrais que sa fille, Sarah, jeune adulte est en analyse, elle aussi. C’est aussi sa fille qu’elle retrouve sur le divan. À la séance qui suit ce rêve, elle parle de sa fatigue. Un profond sentiment d’abandon l’envahit, personne ne respecte son rythme ni ne vient la voir.
Sur ce les vacances estivales approchent, l’alliance dans la haine va laisser place à plus de haine dans le transfert et à de la rivalité…
« Ça va me manquer tout ça … je me prépare avant de venir, j’y pense. Votre façon de descendre, l'odeur que je retrouve…c’est un rituel quelque chose qui rythme ma vie…votre voix aussi …du coup j'ai compris pleins de choses …je deviens patiente avec ma mère qui n'a plus envie de rien, elle fait une dépression …j’ai peur de ne plus avoir de désir comme ma mère et de me laisser glisser vers la mort…mais il faut que je vibre pour autre chose que le sexe … il faut se préparer à être vieille, à ne plus être regardée comme une femme, ne plus exister, j'ai tellement recherché l'intérêt chez les hommes, ne plus l'avoir c’est comme un renoncement à la vie. J’ai vraiment pris un coup de vieux ça se voit sur mon visage et ma peau… »
Elle est la patiente de sa mère analyste qui va pendant les vacances la laisser et aller vieillir, s’abimer, seule… l’expression à peine maquillée d’une agressivité à mon égard, amour et haine sont plutôt bien intriqués.
En septembre, le retour des vacances est douloureux …
L’histoire avec Pierre s’est terminée brutalement. Il l’a quittée pour une autre femme, Samantha.
« Le froid s’est installé progressivement … je suis seule comme ma mère … pauvre folle qu’est-ce que tu as cru …cette rupture m’a ramenée dans la peau d’une vieille femme prête à aller à la casse »
Tout la rapproche maintenant d’elle et à la faveur de cette proximité elle me raconte qu’elle a découvert le secret de sa mère …
« On marchait toute les deux …moi j’étais face à la mer et elle derrière, comme vous, sauf que c’est elle qui m’a fait une confidence.
Elle m’a dit que sa mère ne voulait pas d’elle. Elle a tout fait pour la faire passer mais elle est là, elle n’y est pas arrivée. Ça m’a vraiment touchée parce qu’on n’a pas voulu d’elle … c’est comme ça que j’explique son trou à elle… même si elle a été aimée…ma grand-mère était une maman italienne généreuse et c’était la préférée du père … …ça a dû lui faire drôlement mal sa mort…on a été très proche dans ce moment-là … ça m’a vraiment touchée et je l’ai plainte …alors que d’habitude je la déteste h24. Elle n’était tendre avec personne … c’était la bonne copine et pas l’amoureuse passionnée ».
Le setting analytique, le rêve, ce moment sur la plage, une même scène : une mère et sa fille prise dans une circulation pulsionnelle, chargée de transmission, de tendre, de sexuel, de haine. Unies par leurs désirs œdipiens d’être la préférée du père mais rejetée par la mère.
« Le manque que j’ai ressenti dans mon enfance, me dit-elle, c’était aussi un manque physique je n’étais pas sûre d’être une petite fille aimable c’est quelque chose que j’ai imprégné en moi »
Cette absence d’un corps à corps primitif porteur de mouvements pulsionnels la laissait sans connaissance de ce qu’elle est pour l’autre, dans une souffrance narcissique mélancolique. Elle dira récemment qu’elle n’a pas « été reconnue par des mains, qu’elle n’a pas eu de sensation de correspondance physique ». Un petit chat dans la poubelle perdu dans la déception de l’échec de cette rencontre identifiante.
« Je n’étais pas une petite fille à câliner je n’étais pas la bonne pâte…vous voyez ? »
Je vois son désir d’être l’objet de l’envie de l’autre, d’être à croquer comme une bonne pâte.
Elle poursuit : « j’étais une petite fille avec des pensées retenues…je ne peux pas dire ce que je pense … Depuis cet été je fais un truc, je suis gênée de vous le dire … je regarde des vidéos d’extraction de points noirs en boucle …je regarde la saleté sortir et laisser une place toute propre … c’est une sorte de satisfaction »
Elle associe tout de suite sur la dimension sexuelle mais de façon assez hystérique et puis non « on peut être sale et tout nettoyer …ce sont des trous remplis par de la saleté … »
« Mon père avait beaucoup de points noirs, quand je perçais je me régalais … je faisais l’esthéticienne avec lui. Je lui faisais mal mais j’étais dans une proximité avec lui, c’est le seul moment où je m’occupais de lui, je le bichonnais …Je ne pouvais pas être tendre ce sont les mamans qui apprennent ça »
Cette proximité chargée d’un plaisir sadique est inavouable. Coincée entre des désirs œdipiens et son besoin de collage à sa mère, d’être aimable pour ne pas être avortée.
Mais elle a aussi la tâche de l’esthéticienne, de nettoyer, de rendre beau. Elle enlève quelque chose de l’intérieur, le noir.
C’est ce noir qui va apparaitre dans les séances suivantes. La fin de cette relation avec Pierre réduit l’écart en elle, le cloisonnement entre sa part froide et sa part sensible.
Sa mère veut mourir.
Dans ce rapprochement avec le noir, elle s’agite « une galérienne volontaire ».
Elle va faire un marathon, une issue défensive face à la menace d’effondrement mélancolique.
Le couple parental apparait, ils sont unis par le noir, par la mélancolie. Elle est seule dans sa chambre. Elle les réunit. En les réunissant, elle amène une atmosphère plus œdipienne et aussi une plus grande solitude…elle aimait son père. Après qu’elle ait évoqué une attitude similaire entre elle et lui je dis :
- Vous voilà proche de lui
« Oui je voulais me marier avec lui, je trouvais qu’il était le plus beau … et après je me suis détachée de mon père et je me suis collée à ma mère … comme ma fille m’embrassait sur la bouche … moi je n’ai jamais eu ce genre d’envie, ma mère me faisais peur …j’ai le souvenir de dormir avec elle et elle ronflait très fort comme un ogre… mon père était plus doux »
Elle fait un lien entre Pierre et son père, le doux, le séducteur, le couple, elle évoque ce temps de l’enfance avant ses 10 ans où elle était très proche de son père, toujours sur ses genoux, la préférée …un père qu’elle a esquivé au moment de l’adolescence. Alors apparait la mante religieuse, « une vermine » qui prend les hommes des autres …déguisée en Blanche-neige, une vierge béatifiée qui rêve dans son demi- sommeil d’avoir, de posséder la créativité et le pouvoir maternel …une ogresse inaccessible et terrifiante avec laquelle elle se trouve unie dans la vengeance mais aussi en rivalité. Une rivalité qui s’actualise via le transfert …
« Qu’est-ce que c’est la pulsion de mort. Je suis toujours occupée par la mort, on va tous mourir…Une méchante fée s’est penchée sur moi et m’a jeté un sort …Freud en a parlé, j’ai regardé je n’ai rien compris …tout le monde me parler de cette femme : ma mère, magnifique qui vieillissait très vite »
Moi : « Une merveille qui s’est bien vite dégradée, son miroir pourrait lui dire que sa fille est plus belle »
« J’ai pris sa place avant c’est elle qu’on regardait. Le langage psychanalytique je n’y comprend rien »
L’évocation d’une scène primitive : Freud et son analyste, une méchante fée, qui partagent des secrets monstrueux, irreprésentables. L’histoire se tiercéïse. Une autre forme d’envie apparait celle des contenus maternels. C’est une mère pas si sèche.
Lui revient le souvenir d’elle adolescente très sexy dans un ascenseur avec sa mère et une amie de la mère. Cette femme lui a dit qu’elle était habillée comme « une pétasse »
Elle poursuit :
« Ma mère n’a rien dit…elle était jalouse de moi …je reprenais le flambeau … avec tous ses hommes je plaisais, j’assurais la relève du flambeau… j’étais en avance au niveau littéraire …après toute la bibliothèque rose et verte je me suis mise à lire les livres de la bibliothèque de ma mère … en rédaction j’ai décrit le corps d’un homme de façon tellement sensuel que l’institutrice m’a convoquée …très tôt ça m’a intriguée les histoires avec des hommes »
L’adolescence est alors mise en écho avec la ménopause : elle ne voulait pas et ne veut pas vieillir, une étape dans la vie d’une femme, une nouvelle crise, un deuil.
La féminité, une transmission…un mauvais tour joué par la fée qui s’est penchée sur son berceau, haineuse la voilà condamnée à la perte et au deuil. Perception de cette fatalité à l’adolescence au moment où elle devient pubère, le complexe de cette castration la projette dans l’angoisse de se retrouver avec sa mère sur la pente glissante de la fin d’un narcissisme qui se veut triomphant et grandiose.
« Ma mère n’avait pas ce qu’il faut en elle pour me donner ce dont j’ai besoin du coup elle me rejette … on ne voulait pas d’elle … cette assurance que je n’ai pas eue je la cherche chez Paul …quoi qu’il arrive je serai aimée »
Moi : « Il ne voudra jamais avorter de vous »
Cette blessure d’être une fille, une femme, ce rejet du féminin. Une mère rejetée qui rejette.
« Au théâtre j’ai crié, j’ai hurlé, un hurlement rouge comme la peur…C’est moi qui crie pour elle…Je pense à elle et je l’imagine seule tout le temps … (elle pleure) Si elle savait à quel point je pense à elle. Ça doit être dur d’être vieille et de pas se sentir aimée, désirée, attendue …moi je suis comme elle… »
Voilà sa mère abandonnée, avortée de toutes relations, la vengeance prend d’autre forme, elle reprend à son compte l’agir d’une violence fondamentale « œil pour œil, dent pour dent ».
Une enfant entre ses parents …
« Votre cabinet est situé juste entre chez Samantha et chez Pierre … je suis entre eux »
Moi : « comme vous avez été entre Paul et sa première femme, entre votre père et votre mère »
« Je suis celle qui déclenche des cataclysmes …Être belle pour me sentir aimée … j’ai repensé au cri rouge que j’ai poussé au théâtre et je me suis vue comme dans un tube rouge et en train de crier à l’intérieur …comme une naissance le moment entre le col de l’utérus et le vagin … un cri qu’on pousse quand on sort mais là j’étais dedans je me voyais toute compressée comme prisonnière d’où ma peur… j’ai joué les yeux fermés, une claustrophobe. Mes parents ils m’ont élevée pudiquement sans me dire les choses dont j’avais besoin … j’ai vécu une distance »
Moi : « une distance, une peur du contact »
« Si je n’avais pas eu ma tante je ne me serais jamais rendu compte que je manquais …Même sa voix n’est pas maternelle »
La voix qu’elle aime retrouver en venant à ses séances mais qui la renvoie à ce qu’elle n’a pas et n’a pas eu.
« Ma mère, c’était une mère de surface. » me dit-elle
Moi : « Les profondeurs sont peut-être inquiétantes », comme peuvent l’être les profondeurs à laquelle invite une analyse.
Je poursuis un peu plus tard par une intervention où j’énumère le désastre du lègue maternel : un utérus, un vagin, du noir et de la mélancolie. Une reprise violente de ma part qui réactualise pour elle le reproche, le rejet, la déception d’être une femme. Elle parle d’« un corps joli mais inutile pas parce qu’il n’est pas désiré par les hommes mais parce qu’il n’a pas été désiré par sa mère ».
Elle me dit alors qu’elle va amener sa mère chez elle pour le WE. Elle a besoin de se rapprocher d’elle. Elle sera absente pour la première fois à une séance suivante pour aller la chercher. Peut-être un mouvement identique à celui de l’adolescence où elle s’est collée à sa mère, un collage haineux qui fuit le père et le frère. Relation père-fils d’ailleurs passée pour l’instant sous silence.
À son retour je le retrouve déçue, le week-end s’est mal passé
« C’est terrible la sensibilité ça expose à la souffrance … C’est comme ma mère elle n’a pas été sensible pour ne pas souffrir. Je sentais sa mélancolie et sa tristesse …J’ai absorbé son mal être »
Moi : « Son noir »
« J’ai voulu faire croire que non …mais de toute façon on n’est jamais tout blanc »
Elle évoquera en fin de séance le noir de son père :
« Mon père sa seule envie c’était d’avoir une femme, des enfants et une maison avec un jardin …il a été adopté. Il a perdu ses parents très tôt, c’est son noir à lui. »
Nous voilà maintenant dans le jardin du père. Les séances sont plus apaisées, elle est plus endeuillée. [/restrict]